Le 1er juin 2018
La première biographie, plutôt fouillée, d’un écrivain radical.
- Auteur : Raffaël Enault
- Genre : Biographie
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Notre avis : Certains écrivains maudits ont rejoint la cohorte des artistes réhabilités après leur mort. Pas Guillaume Dustan, qui sent toujours le souffre, n’a pas décliné comme Renaud Camus, n’est pas devenu un classique comme Hervé Guibert. Son écriture âpre, crue, parfois violente, le situe plutôt dans le sillage d’un Sade ou d’un Artaud. Mais son image a été brouillée par la querelle sur le bareback avec Act-up, ses apparitions folkloriques chez Ardisson, son goût de la mise en scène. Or, il faut le dire : Dustan fut un écrivain majeur, qui ne documenta pas simplement une époque, ne se réduisit pas à la facilité d’une revendication (je baise sans capote avec des séropos, comme moi). S’il initia chez Balland la première collection de livres gay et révéla Les monologues du vagin, il inventa aussi une écriture nerveuse, rythmée, délestée de toute affèterie littéraire, pour servir le récit d’un corps puissant, vigoureux -le sien-, d’autant plus épris de vie qu’il s’apprêtait à la quitter, dans une échéance qu’il savait brève.
Est-ce que la biographie de Raffaël Enault réhabilite le style de Dustan, pour en faire l’un des points d’orgue de la décennie littéraire passée ? Pas vraiment. Mais ce n’est pas son propos : il s’agit avant tout de faire connaître l’itinéraire d’un surdoué, aujourd’hui bien oublié ou réduit à quelques caricatures médiatiques auxquelles il aura aussi contribué. Le livre déroule le grand récit chronologique d’une bifurcation intense : celle du petit William Baranès, garçon poli et réfléchi, lauréat de plusieurs concours généraux, bientôt promis à Sciences-po et l’ENA. Itinéraire classique de la méritocratie républicaine. Le jeune homme devient juge administratif. Parallèlement, un Clyde émerge, déchire le complet veston pour ceindre son corps velu de chaps et fréquenter les boîtes gay : Baranès cède la place à Dustan, écrivain contaminé par le SIDA, en sursis sous le soleil de Tahiti, qui, entre deux grillades au soleil, des ébats avec son amant d’alors, rédige son premier récit sans concession, Dans ma chambre., publié chez POL. Ce qui saisit, c’est de voir à quel point la simplicité et la crudité de ce premier texte contraste avec les précédents écrits de Dustan, dont certains sont reproduits dans la biographie : qu’il s’agisse de lettres, d’histoires confidentielles, de travaux scolaires, l’écriture est surchargée de références culturelles, de tournures affectées, d’un attirail où éclate sans cesse l’impression de dominer son monde par le sentiment d’une facilité déconcertante. Baranès est l’homme contre lequel se dresse Dustan, qui remet à plat les êtres, les situations, les interprétations. Cette émancipation ouvrirait le champ à bien des travaux d’analyse. On les espère dans un avenir immédiat.
1996-2005 : en à peine dix ans, l’auteur connaîtra une très relative lumière, puis une ombre aux plus vastes contours. D’abord promis à un succès de scandale, il ne quittera jamais l’ornière des auteurs jusqu’aux-boutistes dont la posture effraie, dont les propos, souvent, scandalisent. Les journalistes l’invitant pour avoir leur dose de frissons, l’écrivain s’enferme dans un rôle de trublion, multiplie les propos à l’emporte-pièce, tandis que ses publications s’enchaînent et suscitent une perplexité de plus en plus grande. Et ce n’est pas le prix de Flore pour Nicolas Pages, récompense spécifiquement germano-pratine, qui contribuera à lever le malentendu. La querelle entre Act-up et le sulfureux auteur accélérera le désamour, qui laissera Dustan sur la touche. La fin est proche, plutôt sombre : exilé à Douai, redevenu juge administratif, bien loin du Paris littéraire, le presque quadra s’isole avec son spleen et son obsession des vinyls. Ses deux derniers textes, publiés chez Flammarion, sont purement ignorés par les médias.
Que cherche-t-il alors en revenant à Paris, quelques semaines avant sa mort ? Un comeback littéraire ? Une inflexion que profile l’intention d’une biographie sur Warhol ? Quelques phrases extraites, embryons du projet, n’ont pas la griffe de leur auteur. Dustan paraît épuisé, vidé. Et si sa mort, par intoxication médicamenteuse, n’était pas un accident ? Enault le pense et ce serait une manière sans doute commode de lever le mystère. Mais, à la vérité, il en existe un autre, beaucoup plus vaste : à quel degré de radicalité faut-il parvenir pour qu’un talent littéraire soit définitivement ignoré ?
Parution : 22/02/2018
Editeur : Robert Laffont
EAN : 9782221195949
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