Le 2 juin 2023
- Scénariste : Jeff Lemire>
- Dessinateur : Andrea Sorrentino
- Genre : Thriller, Horreur
- Editeur : Urban Comics
- Famille : Comics
- Date de sortie : 26 avril 2023
Après l’excellent Gideon Falls, le prolifique duo poursuit son cheminement dans l’horreur avec Le mythe de l’ossuaire, une série d’albums autoconclusifs construits autour du même univers.
Avec James Tynion IV (Something is killing the children, The Nice House on the Lake) et Jeff Lemire, le comics investit le genre de l’horreur avec des œuvres puissantes, une manière d’exorciser une actualité angoissante. Dernier né de la fructueuse collaboration entre Lemire et Andrea Sorrentino, qui a déjà donné naissance aux séries Gideon Falls et Royal City ainsi que de Joker : killer smile et Primordial, Le mythe de l’ossuaire constitue un projet ambitieux. Le duo bâtit en effet une série d’histoires indépendantes qui se tiennent dans un même univers, chaque récit offrant une clé de lecture pour comprendre l’ensemble. Il s’agit, selon les mots de Sorrentino, d’établir « un univers cohérent et cohésif qui récompensera le lecteur prêt à s’investir complètement dans le projet en en lisant l’intégralité ». L’éditeur français Urban Comics a publié au printemps 2023, dans sa collection grand format, les deux premiers volumes de cette saga : Le passage et Des milliers de plumes noires, en attendant la publication d’au moins deux autres volumes.
Le mythe de l’ossuaire s’inscrit dans la continuité créative de Gideon Falls (prix Eisner de la meilleure nouvelle série en 2019), récit d’horreur centré sur un marginal et son obsession pour une grange noire qui semble n’exister que dans ses chimères. Mais là où l’intrigue de Gideon Falls demeure linéaire malgré son atmosphère de mystère, Le mythe de l’ossuaire ne prend pas son lecteur par la main et le laisse avec de nombreuses questions une fois les deux premiers albums refermés. Sans être d’une exigence excessive, l’univers ne se dévoile que progressivement, et il faut faire confiance aux artistes pour construire des unités de sens entre les différentes histoires. Au lecteur, ensuite, de faire le lien.
- Lemire – Sorrentino / Urban Comics pour l’édition française
- Début de l’album Le Passage. L’écrivain en mal d’inspiration vient d’arriver dans une charmante villa en bord de mer, et appelle sa femme.
Le passage s’ouvre ainsi sur un prologue d’une vingtaine de pages, baptisé « Le mangeur d’ombre » : un écrivain dont le couple bat de l’aile loue une charmante villa près d’un lac afin de terminer l’écriture d’un script, mais se retrouve face à l’étrange vision d’une créature masquée. Sans transition et sans offrir de réponse définitive à ce récit introductif, Le Passage enchaîne sur son récit principal. L’intrigue se concentre sur un géologue missionné pour inspecter un puit qui s’est mystérieusement formé sur une petite île… Avec son unique récit, Des milliers de plumes noires offre davantage de clés de compréhension sur l’univers que Le passage, qui brosse une esquisse rapide du monde de l’ossuaire et construit avant tout l’ambiance de la série.
- Le phare au cœur de l’intrigue du Passage
Loin du gore, les récits du Mythe de l’ossuaire misent sur la gradation du sentiment de malaise et la mise en scène de l’épouvante. On retrouve ainsi une influence lovecraftienne dans l’univers de Lemire/Sorrentino, une référence d’ailleurs assumée par le dessinateur. Les deux albums du Mythe de l’ossuaire jouent sur la ligne ténue entre la réalité et le cauchemar, qui déstabilise – au point de les faire basculer dans la folie ? – les protagonistes confrontés à ces visions. Le scénario sonde en profondeur la psyché ambiguë de ses personnages, dont on ignore s’ils sont bourreaux ou victimes. L’apparition fantastique passe au révélateur l’âme de ces individus et fait remonter à la surface un événement traumatique – la disparition de la mère dans Le Passage, la culpabilité d’avoir perdu une amie dans Des milliers de plumes noires – à moins que ce ne soit ce passif qui les mette en rapport avec l’ossuaire… La narration s’arrête ainsi sur ces failles qui prennent la forme de flash-back ou de rêves qui contrastent graphiquement avec l’intrigue principale.
- Lemire – Sorrentino / Urban Comics pour l’édition française
- Le découpage et la méthode Sorrentino, qui insère des cases de la jeunesse des protagonistes vue plus tôt dans le récit. Ces épisodes de jeunesse font l’objet d’une narration plus colorée.
Le graphisme joue un rôle cardinal dans la narration des albums du Mythe de l’ossuaire. Comme dans Gideon Falls ou dans Joker : killer smile, Andrea Sorrentino brille par son sens de la mise en page. Le découpage de chaque planche fait l’objet d’un soin minutieux, tantôt pour susciter un effet de surprise, à l’image des grandes planches figurant cet autre monde, tantôt pour nous conduire dans les cauchemars des personnages. La marque graphique de Sorrentino réside dans sa façon de déstructurer la page pour mieux la recomposer avec des formes diverses (un cercle, une plume...). Au niveau du trait, Sorrentino alterne entre le réalisme dans la représentation des personnages et des décors, avec ces teintes souvent froides qui font l’effet d’un filtre sur la réalité, et l’inventivité graphique des scènes de rêve ou de l’univers de l’ossuaire. Le noir domine dans Le passage, dont la narration tourne autour d’un étrange puit, quand la couleur acquiert une véritable fonction narrative dans Des milliers de plumes noires : l’enfance des deux jeunes filles fait l’objet d’un récit coloré – comme s’il s’agissait d’une parenthèse enchantée – quand des teintes beaucoup plus grises dominent le récit au présent.
Entre horreur et thriller psychologique, Le mythe de l’ossuaire constitue un jalon important dans la collaboration entre Jeff Lemire et Andrea Sorrentino. Arrivé à maturité, le couple d’artistes bâtissent un univers complexe pour mieux sonder l’âme humaine et ses tourments : le monde de l’ossuaire est peut-être d’abord à l’intérieur de nous, et c’est probablement la leçon la plus glaçante qu’offre cette saga aux multiples promesses.
Le mythe de l’ossuaire. Le passage, 128 pages, 19 €
Le mythe de l’ossuaire. Des milliers de plumes noires, 160 pages, 19,91 €
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