Le 8 février 2023
- Réalisateur : David Cage
- Nationalité : Américain, Français
- Date de sortie : 25 mai 2018
- Plus d'informations : Site du développeur
Retour sur un jeu culte, avec Detroit : Become Human, développé par le Français Quantic Dream en 2018, qui éclate sa narration en mille morceaux pour créer un superbe investissement émotionnel chez le joueur.
Résumé : En 2038, à Detroit, les androïdes sont partout. Ils nettoient les rues, assistent les personnes dépendantes, assouvissent les fantasmes les plus profonds d’humains qui n’ont que peu de considération pour eux. Alors qu’ils obéissaient sans rechigner jusque là, la police de Detroit se penche sur quelques cas inquiétants d’androïdes qui, pas à pas, apprennent à dire non.
Dans cet article est critiquée la version du jeu sortie en 2018, sur Playstation 4.
Critique : Le projet a de quoi faire lever quelques sourcils. Des androïdes épris de liberté, qui souhaitent l’acquérir et redéfinir, ou plutôt élimer les frontières entre humains et machines, il y a bien longtemps que les arts, littérature et cinéma en tête, racontent ces histoires. La peur de la redite, du piège des stéréotypes, étreignent un joueur indécis. Après quelques heures de jeu, ces quelques doutes prennent forme mais sont éclipsés par une expérience émotionnelle et sensorielle hors du commun.
Nous pourrions choisir de dévoiler l’histoire de Detroit, par taquinerie ou méchanceté. L’entreprise serait vaine. C’est la principale particularité de Detroit : les choix que le joueur opère tout au long du récit influencent ce dernier. Le concept n’est bien sûr pas nouveau. Mais il semble atteindre une maturité inédite avec les histoires entremêlées de Markus, Kara et Connor. Nous ne parlons pas d’une fin alternative ou de quelques sections débloquées à la faveur de décisions à la marge. Nous sommes face à un chef-d’œuvre d’écriture interactive, ou les nœuds dramatiques se démêlent les uns avec les autres, et en fonction des autres. De quoi faire pâlir quelques scénaristes. Le génie du procédé consiste à dévoiler, après chaque chapitre, l’étendue des chemins que le joueur aurait pu emprunter. Certains resteront inconnus. D’autres recèlent des secrets insoupçonnés. Même après trente heures de jeu, le public reste bien en peine face à l’ampleur des possibilités.
- © 2022 Quantic Dream
Alors que l’implication du joueur se voit poussée à son paroxysme, l’émotion est favorisée par plusieurs choix éclairés. Tout d’abord, la possibilité d’incarner le chef de la révolution des androïdes, dont vous choisirez la teneur, puis celui chargé de l’arrêter, et enfin une jeune androïde en quête de liberté dont le destin croisera celui des deux premiers, s’avère payant. Le joueur peut choisir son camp ou non. Il peut décider de remplir ses objectifs avec l’un des personnages. Donc les rater avec un autre. Les enjeux sont immenses, les effets ménagés avec finesse. Chaque choix entraîne des conséquences logiques, à propos de l’estime que nous porte nos coéquipiers ou l’opinion publique. Peu à peu, tout cela ouvre ou ferme des chemins. Habile, même s’il est difficile de mesurer l’impact de nos choix.
En effet, le joueur se contente d’une flèche montante ou descendante après une décision importante en guise d’indicateur, sans pouvoir quantifier les effets de son comportement. Certains revirements chez le joueur sont permis, et amènent de légères incohérences. Difficile de gagner l’opinion publique en se montrant pacifique après avoir choisi, au début, de massacrer une cohorte de policiers.
- © 2022 Quantic Dream
Quelques poncifs apparaissent, notamment avec le compagnon de Connor, Hank, un flic seul, triste, et alcoolique. Jackpot gagnant. Quelques révélations frisent aussi le sentimentalisme. Mais quels trouble-fêtes serions-nous de considérer que ces scories, toutes relatives, entachent le bilan de manière sérieuse. Mentionnons plutôt l’esthétique savamment travaillée de la ville de Detroit, en 2038, aussi crédible qu’élégante. La direction artistique, de haute volée, met en lumière des décors impeccables et de superbes costumes. Celui des policiers casqués, diablement plausible, fait mouche.
Il convient aussi d’insister sur la faculté du jeu à nous faire entrer en introspection. Très guidé, le joueur est mis en difficulté sur le plan moral plus que stratégique ou technique. Sitôt les premières embûches sur son chemin, les valeurs qu’il se fixe au début vacillent. L’intime influence vite le cours des événements. Difficile d’imaginer tenir sa ligne tout au long de l’aventure. Les conséquences négatives de mauvais choix ne sont jamais amoindries pour brosser le joueur dans le sens du poil. Une erreur, et cela peut être un point de non-retour. Par exemple, l’auteur de cette critique s’en veut toujours terriblement d’avoir mis fin au parcours de Kara par imprudence, pourtant si méritante.
Les frissons ne sont jamais loin, la manette crispée entre les mains. L’expérience est totale, renforcée par des partitions musicales d’excellente facture, qui mêlent l’intime et le grandiose avec douceur. Trois compositeurs, un pour chaque personnage principal (Philip Sheppard, Nima Fakhrara, John Paesano), livrent une bande originale qui a un souffle indéniable.
Avec ses graphismes impeccables et ses acteurs aux voix parfaites d’ambiguïté, Detroit laisse son empreinte sur le joueur, comme le font toutes les œuvres marquantes.
Encore quelques temps permettront peut-être de savoir si Detroit : Become Human est de la trempe de Fondation (Isaac Asimov, 1951) en littérature ou Blade Runner (Ridley Scott, 1982) au cinéma. Gardons-nous des comparaisons pour l’instant.
Cependant, le jeu pourrait bien faire partie de la conversation. C’est déjà immense. Rendez-vous en 2038 ?
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