Le 1er octobre 2003
Cent soixante pages où s’enchaînent des thèses d’autant plus insolentes et implacables qu’elles sont précisément argumentées...
Une intrigue romanesque faussement réduite à sa plus simple expression (le monologue d’un homme dans un avion qui retourne dans son pays natal) où les idées le disputent à l’action. Le tout servi par un style maîtrisé de la première à la dernière ligne. Attention, talent...
L’opuscule littéraire que publient les ingénieuses éditions Allia en cette rentrée, un premier roman d’une ex-plume de Chronic’Art, échappe d’emblée à toute classification. Alors que paradoxalement l’un des défis de l’ouvrage consiste à démontrer que l’originalité et la singularité (de l’art, d’un pays, d’une langue, d’une pensée) n’existent que "dans des esprits infiniment mesquins et petits-bourgeois et pathétiques". Il est clair qu’énoncées ainsi, tant la théorie que la citation supportent mal la décontextualisation et qu’on voudrait bien savoir qui est ce narrateur pour formuler une opinion aussi définitive sur un sujet aussi grave.
Le narrateur justement : assis dans un avion, flanqué d’un insupportable voisin, il retourne dans son pays d’origine qu’il a quitté voici dix ans. Dix ans qu’il a passés à tenter d’oublier absolument tout ce qui concerne ce pays, jusqu’à la langue. Il va rejoindre un dénommé Roman, dont il fut le confident avant son exil.
Ce voyage fournit au narrateur l’occasion de se remémorer, avec une précision si confondante qu’on pourrait croire qu’il s’agit de ses propres réflexions, les étourdissants monologues de Roman. Des confessions-fleuves qui auscultent et dépècent minutieusement des notions comme l’état d’esprit d’une société après la guerre, la place qu’y tient l’artiste, le façonnement de l’identité par une langue, la relation inévitablement castratrice mère-fils, la lecture comme emprisonnement, la création littéraire ou plutôt l’impossibilité de la création littéraire. Certains pourraient prendre Défaut d’origine pour un ambitieux bavardage germano-pratin. D’autres pourront s’émerveiller, voire se réveiller, à la lecture de cette première œuvre.
Une œuvre portée par un souffle, un seul, puissant, endurant, cent soixante pages où s’enchaînent des thèses d’autant plus insolentes et implacables qu’elles sont précisément argumentées, justifiées en tout point. Olivier Rohe explicite la pensée complexe de Roman dans un style parfaitement limpide où les mots se juxtaposent comme s’ils n’existaient que pour se côtoyer dans cet ordre-là. Impression de nécessité formelle qui rend le discours de Roman d’autant plus inéluctable.
Mais alors, Défaut d’origine serait donc un essai philosophique rédigé par un auteur doué d’une remarquable pédagogie ? Eh bien non, parce qu’après tout, les théories de Roman (qui sont en fait un véritable système de pensée complet), bien qu’intéressantes, importent peu sur le fond. Ou bien si elles importent, ça n’est que parce qu’elles sont justement l’argument romanesque du livre, prenant ostensiblement la place des héros et de leurs "aventures" qui composent classiquement un roman. Après L’agrume de Valérie Mrejen en 2001 et Rapport sur moi de Grégoire Bouillier l’année dernière, Allia poursuit son travail de découverte en nous offrant à lire l’une des œuvres les plus singulières de l’automne.
Olivier Rohe, Défaut d’origine, Allia, 2003, 160 pages, 6,10 €
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