Le 8 août 2023
- Réalisateur : William Friedkin
- Festival : Festival de Cannes 2016
William Friedkin était l’invité d’honneur de la Leçon de cinéma du 69e Festival de Cannes, mercredi 18 mai 2016. L’occasion pour le cinéaste-scénariste-écrivain de revenir sur sa carrière, en compagnie d’une pointure de l’histoire du cinéma, Michel Ciment.
Rencontre : C’était l’un des rendez-vous incontournables du Festival de Cannes 2016 : la rencontre avec l’un des metteurs en scène les plus iconoclastes du Nouvel Hollywood, le grand William Friedkin. Interrogé par Michel Ciment, le papa de French Connection, L’exorciste, Sorcerer et autres Police Fédérale, Los Angeles (To Live and Die in L.A.) a égrainé quelques-unes de ses recettes avec humour et sagacité. La spontanéité des acteurs (la méthode Actors Studio) comme nécessité absolue, la peur irrationnelle et la paranoïa comme horizon ultime... rien de neuf sans doute pour un lecteur assidu des mémoires du cinéaste, mais une manière ludique d’appréhender son univers tiraillé entre la tentation du documentaire, de l’occultisme et de l’angoisse métaphysique.
- © Alexandre Jourdain
Balisé chronologiquement, l’échange entre l’historien et le réalisateur n’étaient pas tant une "leçon de cinéma" qu’une masterclass un peu rock et impertinente. L’occasion d’aborder brièvement les innombrables téléfilms réalisés par Friedkin, qui selon lui ne lui auront jamais rien appris sur le cinéma. Durant une enfance jamais émaillée par ce qu’il nomme de "stupides cartoons", sa passion pour le cinéma lui vient après la vision de Citizen Kane, des films de Hitchcock et de sa découverte de la Nouvelle Vague. Chicago la multiculturelle, les livres, John Coltrane et Miles Davis parachevèrent une sensibilité précoce pour l’avant-garde. Malgré quelques échecs retentissants (quatre, dira-t-il), Friedkin ne perd pas de sa superbe. Plusieurs extraits de films ont par ailleurs égayé la rencontre.
The Birthday Party (1968)
- © 1968 Palomar Pictures International. Tous droits réservés.
Inédit en France, The Birthday Party comporte déjà quelques-unes des principales obsessions de Friedkin. La scène projetée dévoilait un Patrick McGee mutique et terrifiant dont la fureur inhibée ressort soudainement après avoir reçu un tambour en guise de cadeau d’anniversaire. Une autre scène mettait en scène Robert Shaw découpant avec méthode et patience la page d’un journal. Dans les deux cas, un travail saisissant sur le son et la paranoïa. Pour expliquer cette peur irrationnelle qui l’obsède, Friedkin évoque une porte à laquelle on viendrait soudainement cogner - comme un écho du film Le Locataire (de Polanski, autre inconditionnel de Citizen Kane).
The Boys in The Band (1970)
- © 1970 Led Productions. Tous droits réservés.
Autre film jamais projeté dans l’Hexagone, Les garçons de la bande est un huis clos entre comédie et tragédie. Un groupe de six homosexuels évoluent dans un appartement. La scène projetée mixait la screwball comedy dans un déluge hilarant de vannes, avant de basculer dans l’horreur après une blague de l’un d’entre eux. D’abord régulier, le découpage des plans devient petit à petit frénétique à mesure que des coups s’abattent sur un membre de la bande. La violence s’arrêtera à la faveur d’un nouvel arrivant toquant à la porte et dont on aperçoit d’abord la crinière et les lunettes en gros plan. Le casting était exclusivement britannique car les acteurs, adeptes de la méthode Actors Studio, ne raisonnaient que par spontanéité. À noter que le mouvement gay n’en était encore qu’à ses balbutiements à l’époque.
French Connection (1971)
- © 1971 20th Century Fox. Tous droits réservés.
« Bullshit », répond William Friedkin sourire aux lèvres lorsque Michel Ciment évoque le fait que French Connection aurait été réalisé grâce aux conseils de Howard Hawks. Aucunement selon le réalisateur, qui souligne que le papa de Red River avait la fâcheuse tendance d’enjoliver ses entretiens - à noter que Friedkin est lui-même précédé par la même réputation. Reste que Hawks, surpris de l’entendre aborder un scénario avec une bande de gays, lui suggéra de tourner un film d’action. Ce qu’est indéniablement French Connection.
Qu’importe : le réalisateur est revenu ensuite sur l’aspect documentaire de French Connection, une identité que l’on doit en partie à son chef opérateur Enrique (Ricky) Bravo, réfugié cubain qui avait filmé la révolution de Fidel Castro. Sa mission : filmer Gene Hackman comme Fidel. « Castro ne t’avait pas dit ce qu’il faisait pendant la révolution », lui aurait dit Friedkin après que l’homme ait cherché à comprendre l’objet du film. À noter par ailleurs que Z, de Costa Gavras, aura été l’une des principales influences de French Connection. Les deux films ont d’ailleurs un acteur en commun : Marcel Bozzuffi. Petite anecdote : alors même que FC n’avait pas de scénario écrit, le film a obtenu un prix précisément dans cette catégorie.
L’Exorciste (1973)
- © 1973 Warner Bros. Tous droits réservés.
Outre l’évocation de l’influence sur l’œuvre, connue, du tableau L’Empire des lumières, de René Magritte, le cinéaste a détaillé son rapport à la création. L’instinct reste pour lui le maître mot, outre le scénario, le filmage et le montage. Sans le succès de FC, L’exorciste n’aurait sans doute jamais existé. Bien que non croyant et non pratiquant, Friedkin admet une fascination pour Jésus, et plus particulièrement pour l’emprise qu’il a dans le monde alors que pas un enregistrement ni un écrit n’en attestent l’existence. Particularité qui aura pu influencer L’exorciste.
À propos de la musique, Friedkin souligne qu’il ne voulait pas de mélodie populaire, que tout était dans le feeling. De l’importance cruciale selon lui d’écouter la voix qui parle en soi, d’« écouter cette main glacée posée sur le bas de votre nuque ».
Sorcerer (1977)
- © 1977 Film Properties International N.V., Paramount Pictures, Universal Pictures. Tous droits réservés.
Au sujet des extraordinaires paysages de Sorcerer, et notamment de la séquence finale hallucinée : les plans ont été tournés en République dominicaine, mais aussi dans la jungle amazonienne au Mexique. Les images subliminales font en réalité référence à L’année dernière à Marienbad - Friedkin adule Alain Resnais.
Les couleurs bleutées, ou encore verdâtres de la fameuse scène de cauchemar ont été rendues possibles grâce aux variations de la lumière du jour, mais essentiellement lors du développement de la pellicule 55mm. Chose aujourd’hui impossible à l’heure du digital. L’élément le plus difficile à filmer a été le désert : deux chefs opérateurs (Dick Bush et Joseph Stevens) ont travaillé sur le film, dont le second est issu du documentaire.
Police Fédérale Los Angeles (1985)
- © 1985 United Artists. Tous droits réservés.
À propos du travelling incroyable lors de la course-poursuite entre William Petersen et John Turturro : « comment avez-vous fait ? », demande Michel Ciment. « On l’a juste fait », répond l’intéressé. Pas de technique chez Friedkin mais juste du feeling. On notera tout de même que Robby Müller, directeur de la photographie pour Wim Wenders notamment sur Paris Texas, n’y est sans doute pas étranger.
Petit mot du cinéaste à propos du cinéma d’action d’aujourd’hui : Bigelow est selon lui la plus grande de toute.
Bug (2006) et Killer Joe (2011)
- © 2011 Voltage Pictures, Worldview Entertainment, ANA Media. Tous droits réservés.
Les deux derniers films du cinéaste reviennent au théâtre, là où Friedkin a commencé (et ne s’est jamais vraiment arrêté). Les deux métrages sont des adaptations de romans de Harold Pinter, que Friedkin considère comme son alter ego dans son rapport à la paranoïa et à cette indéfectible irrational fear. Les deux hommes ont en commun une vision dépressive du monde, fait d’ambigüités multiples. À noter que Friedkin admet que le scénario compte aujourd’hui davantage pour lui que par le passé.
Et de conclure : « Pour moi, la réalisation a été une aventure et une éducation. C’est tout. »
Filmographie
(Longs métrages de fiction :)
– Good Times (1967)
– The Night they Raided Minsky’s (1968)
– The Birthday Party (1968)
– Les garçons de la bande (The Boys in the Band, 1970)
– French Connection (The French Connection, 1971)
– L’exorciste (The Exorcist, 1973)
– Le convoi de la peur (Sorcerer, 1977)
– Têtes vides cherchent coffres pleins (The Brink’s Job, 1978)
– La chasse (Cruising, 1980)
– Deal of the century (1983)
– Police fédérale, Los Angeles (To Live and Die in L.A., 1985)
– Le sang du châtiment (Rampage, 1987)
– La nurse (The Guardian, 1990)
– Blue Chips (1994)
– Jade (1995)
– L’enfer du devoir (Rules of Engagement, 2000)
– Traqué (The Hunted) (2003)
– Bug (2006)
– Killer Joe (2011)
– The Caine Mutiny Court-Martial (2023)
Galerie Photos
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