Trois femmes dans l’attente
Le 4 octobre 2011
Huit-clos intense dans une maternité, ce film peu connu de Bergman est une oeuvre majeure du cinéaste. Une réédition bienvenue nous permet de le redécouvrir.
- Réalisateur : Ingmar Bergman
- Acteurs : Erland Josephson, Max von Sydow, Ingrid Thulin, Bibi Andersson, Eva Dahlbeck, Barbro Hiort af Ornäs, Inga Landgré
- Genre : Drame
- Nationalité : Suédois
- Editeur vidéo : Éditions Montparnasse
- Date de sortie : 4 mars 1959
- Plus d'informations : http://www.editionsmontparnasse.fr/...
- Festival : Festival de Cannes 1958
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– Titre original : Nära livet
– Durée : 1h22mn
– Sortie en Suède : 31 mars 1958
– Prix de la mise en scène du Festival de Cannes 1958
– Prix collectif d’interprétation féminine du Festival de Cannes 1958 pour Ingrid Thulin, Bibi Anderson, Eva Dahlbeck et Barbro Hiort Af Ornäs.
Huit-clos intense dans une maternité, ce film peu connu de Bergman est une oeuvre majeure du cinéaste. Une réédition bienvenue nous permet de le redécouvrir.
L’argument : Une journée de la vie de trois femmes d’horizons différents dans une maternité de Stockholm. L’une est jeune, émancipée, a fui sa famille et ne souhaite pas garder l’enfant (Hjördis). L’autre est sur le point d’annoncer à son mari sa séparation (Cécilia). La dernière, Stina, follement amoureuse de son mari, attend la venue de son fils avec impatience. Elles vont partager leurs joies, leurs doutes, se soutenir avant ce moment si important qui les attend et où la vie bascule : la naissance d’un enfant.
Notre avis : Tourné juste après Smultronstället - Les fraises sauvages durant l’été 1957 (Bergman, très pris par ses mises en scène théâtrales, consacrait au cinéma la pause estivale), Nära livet occupe une place un peu à part dans la filmographie de ce cinéaste de troupe puisque, honorant un vieux contrat avec la Svenska AB Nordisk Tonefilm il n’y travaillait pas avec son équipe technique habituelle de la AB Svensk Filmindustri.
La sobriété de l’admirable photo noir et blanc du chef opérateur Max Wilén est très éloignée de l’expressionnisme chatoyant de celle de Gunnar Fischer dans les films précédents, plus extravertis et immédiatement séduisants, tels que Sommarnattens leende - sourires d’une nuit d’été, ou Det Sjunde inseglet - le septième sceau. Elle restitue admirablement l’atmosphère clinique du lieu (une maternité) où se déroule, sur la durée de 24 heures, l’action de ce huit-clos dont la tonalité austère est due aussi au caractère dépouillé, quasi abstrait, des quelques décors de studio (la chambre que partagent les trois jeunes femmes, le couloir, la salle d’opération) qui donnent à l’ensemble une remarquable unité que ne rompent pas les rares inserts filmés dans une vraie maternité.
En effet, si l’exactitude documentaire, voire une forme de naturalisme sont de mise, en particulier dans la séquence très impressionnante de l’accouchement difficile de Stina, le scénario, à la construction dramatique d’une efficacité imparable, et les dialogues finement écrits (exceptionnellement à quatre mains, avec Ulla Isaksson) s’éloignent du réalisme pour viser à une dimension archétypale, chaque personnage représentant une attitude différente par rapport à la maternité et, au delà, face à la vie, la mort, le couple, la solitude.
Un petit côté démonstratif pointe le nez ici et là, notamment dans le dialogue entre la jeune Hjördis, qui a tenté d’avorter, et l’assistante sociale qui, ne pouvant elle-même avoir d’enfants, essaie de la persuader du bonheur d’être mère ; ou encore lorsque Cecilia, qui voit dans sa fausse-couche le signe de l’échec de sa vie de couple, reçoit la visite de son élégante belle soeur (Inga Landgré), célibataire endurcie et apparemment épanouie, et que celle-ci tente de la convaincre de ne se pas se séparer de son mari et parle de la difficulté d’être seule.
Le film dépasse pourtant aisément ce petit côté théorique grâce à l’extraordinaire puissance visuelle et affective que lui insufflent la mise en scène de Bergman (tranchant du cadrage et des césures qui n’empêche pas un sentiment de fluidité, gros plans de visages et d’objets) et surtout l’intensité de la présence d’acteurs qu’il connait bien pour avoir travaillé avec eux au théâtre et dont il obtient, fût-ce pour une brève apparition, le maximum de ce qu’ils peuvent donner.
Le prix d’interprétation cannois accordé collectivement aux quatre actrices principales est amplement mérité, même si la composition savoureuse de Bibi Anderson dans le rôle de Hjördis (le jeu avec le sac à main qu’elle laisse tomber puis ramasse) fait un peu brillant premier prix de conservatoire face à celles de ses partenaires plus expérimentées, Barbro Hiort af Ornäs (Brita, l’infirmière), Ingrid Thulin (Cecilia tourmentée) et Eva Dahlbeck. Cette dernière, à contre emploi des rôles de femme du monde où elle excellait habituellement (y compris chez Bergman : Kvinnors väntan - L’attente des femmes, Kvinnodröm - Rêves de femmes), impressionne tout particulièrement dans le rôle de Stina. Son interprétation de ce personnage excessif, presque effrayant d’énergie vitale, cruellement meurtri mais animé d’une pugnacité indéfectible, est toujours à deux doigts de la caricature, mais bouleverse (son regard fixe lorsque, d’un geste sec, elle repousse violemment la main qui veut lui tendre le verre qu’elle peine à atteindre sur la table de nuit).
Bien que salué comme une éclatante réussite et couronné de deux prix cannois (mise en scène et interprétation) le film n’eut qu’un succès modeste lors de sa première distribution française en 1959 et n’a guère été vu depuis. C’est pourtant une oeuvre majeure du cinéaste et sa réédition, en salle et en DVD, est un évènement à ne pas manquer.
Le DVD
Une admirable édition DVD de ce film jusqu’ici très rare sera disponible le 5 octobre 2011 simultanément à une reprise en salle au Reflet Médicis.
Les suppléments
En douze entrées interactives (Enfance, Visages, Acteurs, Dieu, Solitude, Couple, ...), le journaliste et historien du cinéma N.T. Binh commente brillamment le film ainsi que les thèmes et motifs récurrents de l’oeuvre de Bergman. C’est concis (à peine une demie heure au total), toujours pertinent et judicieusement étayé par des extraits du film. Un complément de programme exemplaire et indispensable.
Image
Le master restauré est de toute beauté et restitue la qualité propre à la photo de Max Wilén qui atténue légèrement l’éclat des blancs (omniprésents dans une clinique) et contribue grandement à l’atmosphère particulière du film. Le report est irréprochable.
Son
Aucun souffle notable ne trouble le silence feutré de la clinique (pas de musique non plus, si ce n’est une mélodie fredonnée par les personnages) et la bande son mono restitue bien le caractère propre de chaque voix.
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