Le 21 octobre 2024
L’un des chefs-d’œuvre d’Ingmar Bergman. Un huis clos cruel et oppressant, somptueusement mis en scène.
- Réalisateur : Ingmar Bergman
- Acteurs : Liv Ullmann, Ingrid Thulin, Harriet Andersson, Anders Ek, Inga Gill
- Genre : Drame, Film pour ou sur la famille, Film culte
- Nationalité : Suédois
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 1h30mn
- Date télé : 3 février 2020 22:40
- Chaîne : Arte
- Reprise: 10 octobre 2018
- Titre original : Viskningar och rop
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 20 septembre 1973
- Festival : Festival de Cannes 1973
Résumé : Quatre femmes sont réunies dans une grande et belle demeure suédoise. Karin et Maria se relaient au chevet de leur sœur Agnes, atteinte d’un cancer incurable. Sa servante Anna, qui entretient avec sa maîtresse une relation privilégiée, tente elle aussi d’apaiser les souffrances de la malade. La proximité qui s’est installée entre les femmes fait ressurgir en chacune d’elles de vieux souvenirs…
Critique : Le parc du château, où s’enroulent des écharpes de brume, semble glacé dans sa beauté marmoréenne. Un fondu au rouge le fait disparaître. Les aiguilles des horloges que surplombent de hiératiques statuettes égrènent les secondes qui passent. On attend. Quoi ?
Les premiers plans du film sont fixes : une jeune rousse dort, jambes étendues sous un plaid. Sur le lit de la chambre attenante, une autre femme paraît morte : de son corps désaxé tombe la chevelure qui déborde la couche. Puis un gros plan s’attarde sur son visage. La vie enfin s’annonce, à travers un mouvement : mais c’est un terrible rictus, il déforme les traits, il incarne la douleur comme rarement le cinéma a su la saisir, sans la styliser.
Dès les premières minutes, Ingmar Bergman parvient à installer une atmosphère impressionnante, où la violence de l’agonie va déchirer le rideau des apparences : Agnes se meurt, Agnes est bientôt morte, mais ses râles auront longuement résonné, là où tout se tait, dans l’attente de ce qui va advenir, mais aussi dans le souvenir de ce qui est arrivé. Peut-être même que par-delà la mort, cette femme continuera d’implorer...
- CRIS ET CHUCHOTEMENTS © 1973 AB SVENSK FILMINDUSTRI. Tous droits réservés.
Implacablement, les visages des personnages sont scrutés, quelquefois scindés par un éclairage symbolique. Ils laissent sourdre les rancœurs et les tristesses sous le mince tissu des conventions aristocratiques. Quelque chose s’est glacé dans le cœur de ces trois sœurs et lorsqu’un geste affectueux tente de réchauffer l’une ou l’autre, ce sont logiquement des larmes qui coulent : celles de Karin, incapable de se laisser approcher par sa sœur, ou celles d’Agnes réconfortée comme une enfant par le sein de la servante Anna, rondeurs féminines apaisantes, qui retrouve, en berçant la moribonde, les sensations de la mère qu’elle fut et à qui la vie imposa l’épreuve du deuil, la perte d’une enfant. Le film n’arrache pas seulement Agnes à la souffrance de son être martyrisé, lui offrant, dans un ultime paradoxe, une mort discrète, visage tourné vers la lumière du jour. Il extirpe des autres protagonistes les motifs de leur muette componction, d’une manière parfois violente : Karin se mutile le sexe pour ne pas assouvir les désirs de son époux ou se délie d’une haine trop longtemps contenue, pour avouer à sa sœur Maria qu’elle ne l’aime pas, lors d’un repas absolument glaçant où son corps agit de manière autonome, transmue le rire en larmes, renverse un verre, soupire des propres mots qu’il profère. Et même si le remords conduit les deux jeunes femmes à un acte de contrition sincère, le contenu de leur échange devient proprement muet, comme si le poids des lourds secrets, propre aux classes les plus aristocratiques, ne souffrait pas que le moindre écho ricoche dans un cadre aussi coercitif.
- CRIS ET CHUCHOTEMENTS © 1973 AB SVENSK FILMINDUSTRI. Tous droits réservés.
Le drame d’une éducation rigoriste est ici révélé à travers des personnages qui hurlent, se révoltent, s’en prennent à eux-mêmes. Le carcan des conventions sociales, thématique chère au réalisateur, est piégé par un dispositif d’enfermement : la claustration fait voler en éclats la posture des vivants devenus des fantômes, au sens propre du terme, figés par des années d’habitus, pour reprendre la terminologie bourdieusienne. Le scandale agit par-delà la mort et anime la défunte, à travers une scène époustouflante, où l’irruption du fantastique opère un retournement symbolique : figures pétrifiées, Karin et Maria ne peuvent rien pour celle qu’elles ont veillée jusqu’au décès. C’est la fidèle Anna, qui assumera le cadavre, dans la configuration d’une splendide Pietà. Et c’est elle qui, après le départ de ses riches employeurs rendus à leurs faux-semblants, compulse le journal d’Agnes, où une autre existence se dessine : une vie fantasmée, des êtres réconciliés, un rêve qui jamais n’eut lieu.
Si la notion parfois galvaudée de chef-d’œuvre peut être réinvestie, c’est bien pour ce film-là.
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Frédéric Mignard 25 décembre 2016
Cris et chuchotements - Ingmar Bergman - critique
La quintessence du cinéma de Bergman, d’une intensité psychologique jamais égalée.
Marla 29 décembre 2016
Cris et chuchotements - Ingmar Bergman - critique
Mon préféré de Bergman après Sonate d’automne. Magnifique.