3Désirs
Le 29 avril 2014
Regards croisés sur la 3D et ses possibilités formelles par trois cinéastes singuliers, dans trois fragments audacieux dont la force visuelle dépasse l’usage hollywoodien actuel du dispositif technique...
- Réalisateurs : Jean-Luc Godard - Peter Greenaway - Edgard Pêra
- Genre : Expérimental
- Nationalité : Français, Portugais
- Distributeur : Urban Distribution
- Durée : 1h10mn
- Date de sortie : 30 avril 2014
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Résumé : Dans la ville millénaire de Guimarães, trois réalisateurs de renommée internationale explorent la 3D et son influence sur notre perception du cinéma. Surimpression et superposition des images pour Peter Greenaway dans {Just in Time}, interrogation ludique sur le nouveau spectateur de cinéma pour Edgard Pêra avec {Cinesapiens} et esquisse d’une histoire du cinéma en 3D pour Jean-Luc Godard dans {Les 3 Désastres}.
Notre avis : Annoncée comme une révolution technique digne du passage au parlant ou de celui à la couleur, l’entrée dans l’ère de la 3D n’a tout simplement pas eu lieu. A de rares exceptions près – le documentaire spéléologique de Werner Herzog, celui de Wim Wenders sur Pina Bausch, l’énigmatique Hara-kiri : mort d’un samouraï de Miike ou Gravity, la 3D a pour le moment été cantonnée à un artifice de foire entourant les sorties d’un argument de vente « spectaculaire », mais qui masque souvent une peau de chagrin plaquée sur les films comme un effet spécial supplémentaire, mal dégrossi et mal intégré à leur matière même. L’effet d’immersion tant vanté par les hérauts de la « réalité virtuelle » se résume bien souvent à la sensation de faire face à un livre pop-up, dont les plans successifs dans l’image font paradoxalement perdre toute impression cinématographique et laissent place à un cartoon immatériel.
La commande de la ville de Guimarães aux cinéastes de 3x3D imposait donc tacitement – par le choix des réalisateurs tout d’abord, par celui de la forme ensuite – une réflexion sur le dispositif, et la manière de l’incorporer dans un langage et un style cinématographiques propres aux trois auteurs. Le segment qui ouvre le film, celui de Peter Greenaway, est une plongée dans le temps et l’espace d’une ville (Guimarães), à travers la répétition d’un même long plan-séquence où viennent se surimposer des personnages importants de la ville et les informations vitales qui les caractérisent (identité, dates de naissance et de mort, hauts faits de gloire, etc.) – à mi-chemin entre l’Encyclopédie et les Google Glasses. Indéniablement « pensée pour » la 3D, la déambulation que propose Greenaway est grisante dans son inlassable répétition et les chemins plastiques qu’elle explore. Elle dilate ses vingt minutes en un voyage dans le temps d’une précision de bibliothécaire, poussant les différentes passions du cinéaste (au nombre desquels l’écrit, les chiffres et les cadres composés !) à leur paroxysme.
Cinesapiens, le fragment proposé par Edgard Pêra, bascule à l’inverse dans la loufoquerie assumée d’une anticipation cinéphilique – celle d’une république cinématographique totalitaire, propulsant le spectateur au rang d’homme nouveau contaminé et transformé par des organismes celluloïdes. Pêra se sert de la 3D comme d’une drogue hallucinogène, dont les effets s’incarnent dans des visions démentes, mi-érotiques et mi-fantastiques, desquelles les spectateurs (représentés à l’écran) sont les victimes. Si le recours massif aux effets sonores et aux voix déformées flirtent souvent avec un potache grandiloquent qui peut lasser au bout des vingt-minutes du fragment, Cinesapiens a le mérite de ne pas prendre son dispositif excessivement au sérieux, remettant le cinéma à sa place première, celle du spectacle et de l’attraction. Avec ironie, il touche tout de même à une dimension bien réelle de la passion cinéphile – une frénésie qui confine au culte, la tentation de vivre dans et pour l’écran, plutôt qu’en face de lui.
Godard, enfin, et Les 3 Désastres. D’un titre aussi ironique que magnifique, le cinéaste tire un épisode supplémentaire de ses Histoires du cinéma – même langage formel, même remploi d’images, même texte que seule la voix désormais un peu chevrotante de l’homme peut démasquer –, que la 3D ne vient que couronner par touches, comme si Godard la requalifiait telle qu’elle est réellement – largement superflue. Il y a un parfum de scandale au sens littéral dans ce fragment : la chute de quelque chose qui a été, un regard calme sur le contemporain et son emboîtement avec le passé. Au détour d’un plan simple et sobre sur deux appareils en stéréoscopie, qui se « regardent » face à un miroir, le dispositif actuel est dit, sans aucune effusion ni nostalgie. Une trace, une signature qui ne peut que faire attendre d’un pied encore plus ferme la présentation d’Après le langage au Festival de Cannes en mai prochain.
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