Le 18 avril 2020
Ce chef-d’œuvre de Peter Greenaway est d’une richesse picturale indéniable, tout autant qu’une approche saisissante des rapports entre la littérature et le corps.
- Réalisateur : Peter Greenaway
- Acteurs : Ewan McGregor, Ken Ogata, Vivian Wu, Yoshi Oida, Hideko Yoshida
- Genre : Drame, Romance, LGBTQIA+
- Nationalité : Britannique, Français, Luxembourgeois, Néerlandais
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Editeur vidéo : Studiocanal
- Durée : 2h06mn
- Box-office : 178 003 entrées France / 140 791 entrées Royaume-Uni
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 15 janvier 1997
- Festival : Festival de Cannes 1996
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Nagiko fête ses quatre ans et pour célébrer sa naissance son père, calligraphe célèbre, trace sur son visage un vœu d’anniversaire. Bien des années plus tard, Nagiko entreprend à son tour d’écrire. Après un mariage raté, elle quitte le Japon, s’expatrie à Hong Kong et se lance à la poursuite de l’amant-calligraphe idéal qui usera de son corps tout entier en lieu et place de papier. Après bien des échecs, elle rencontre finalement Jerome, un traducteur d’origine anglaise. Il la convainc d’être le pinceau plutôt que le papier.
Critique : Avec Meurtre dans un jardin anglais (1982), The Pillow Book est le chef-d’œuvre de Peter Greenaway, réalisateur, plasticien et artiste visuel qui demeure l’une des personnalités les plus insolites du cinéma britannique. Le film, d’une richesse narrative et picturale inouïe, a pour matériau littéraire initial les « Notes de chevet » de Sei Shōnagon, écrivaine japonaise de l’ère médiévale, auteure de poésies, complaintes, anecdotes, réflexions et observations glanées tout au long de son séjour à la cour impériale. Le père de Nagiko cite Shōnagon lorsqu’il commence à écrire sur le front de sa fille, et le récit s’achève sur un oracle prédit par la figure paternelle, correspondant à la pensée de l’écrivaine. Entre-temps, l’œuvre relate le parcours sentimental, professionnel et artistique de Nagiko, de son adolescence où elle est mariée à un être falot qui la méprise, à l’approche de la trentaine où elle est devenue une écrivaine épanouie, en passant par ses turpitudes pour honorer la mémoire de son père, et l’assouvissement de son obsession : trouver l’amant-calligraphe idéal, apte à combler ses désirs et écrire de beaux textes sur sa peau. À la fois cérébral et sensuel, The Pillow Book est passionnant dans les liens qu’il établit entre l’art et le corps. Mais si ce dernier est pour Nagiko le support de sa passion pour les lettres, l’écran lui-même se présente comme un ouvrage, l’analogie entre le plan et la page étant récurrent tout au long du film.
- © STUDIOCANAL, Alpha Films
Pourtant, nulle préciosité n’apparaît dans ce dispositif, et le métrage est un bien bel objet de cinéma : le split screen, les encarts ou les sous-titres de mélodies ne font jamais dévier le film vers le sentier de l’exercice de style, tant l’émotion et l’intelligence du scénario et de la mise en scène envoûteront. Le cinéaste est également magistral dans le mélange des références, genres, ou décors, ainsi que dans les ruptures de ton. On glisse du cinéma d’Ozu (la sobre intimité du ryokan) à l’univers frelaté des défilés de mode de Hong Kong. On passe de l’ascèse au baroque, du noir et blanc à la couleur ; et le mélodrame est entrecoupé de digressions burlesques, voire de scènes gore. Mais jamais ces superpositions ne sont gratuites : l’œuvre garde une harmonie et une cohérence, tout en déjouant les attentes du spectateur. Il faut aussi souligner la qualité de la photo de Sacha Vierny, ainsi que la diversité des choix musicaux, qui s’accorde à merveille avec la dimension multiculturelle de l’œuvre : la rengaine populaire chinoise des années 30 (le « Rose Rose I Love You » de Yao Lee) alterne avec de la musique classique ou des prières bouddhistes de Lamas and Monks, entre les deux sublimes chansons de Guesch Patti, « Blonde » et « La Marquise ».
- © STUDIOCANAL, Alpha Films
Enfin, le casting est un régal. L’actrice chinoise Vivian Wu a ce mélange de fragilité et de détermination qui sied au personnage de Nagiko, quand Ewan McGregor dégage un magnétisme qu’il ne retrouvera pas avant The Ghost Writer. Les seconds rôles sont tout autant excellents, tels Yoshi Oida en éditeur cruel ; Hideko Yoshida, domestique espiègle ; Ken Ogata (La ballade de Narayama), calligraphe humilié ; Barbara Lott, mère indigne ; ou Yutaka Honda en jeune photographe machiavélique. Présenté à la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 1996, The Pillow Book y reçut un accueil triomphal, mais fut traité avec condescendance par une certaine presse qui regrettait son clinquant et ses références à d’autres arts que le cinéma. Ces reproches, non fondés, étaient les mêmes que ceux formulés naguère contre un Fellini, et ce au nom d’une doxa prenant à la lettre les préceptes de Bazin. Le film, édité en DVD par Studiocanal et visible en VO sur YouTube, mérite d’être considéré pour ce qu’il est : une œuvre majeure du septième art.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.