Le 24 juin 2015
Les dix jours qui en 1931, au Mexique, bouleversèrent la vie du grand cinéaste russe Sergueï Eisenstein. Un film superbe de Peter Greenaway
- Réalisateur : Peter Greenaway
- Acteurs : Lisa Owen, Elmer Bäck, Luis Alberti, Maya Zapata, Stelio Savante
- Genre : Biopic
- Nationalité : Belge, Néerlandais, Mexicain, Finlandais
- Date de sortie : 8 juillet 2015
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Les dix jours qui en 1931, au Mexique, bouleversèrent la vie du grand cinéaste russe Sergueï Eisenstein. Un film superbe de Peter Greenaway
L’argument : En 1931, fraîchement éconduit par Hollywood et sommé de rentrer en URSS, le cinéaste Sergueï Eisenstein se rend à Guanajuato, au Mexique, pour y tourner son nouveau film, Que Viva Mexico !
Chaperonné par son guide Palomino Cañedo, il se brûle au contact d’Éros et de Thanatos. Son génie créatif s’en trouve exacerbé et son intimité fortement troublée.
Confronté aux désirs et aux peurs inhérents à l’amour, au sexe et à la mort, Eisenstein vit à Guanajuato dix jours passionnés qui vont bouleverser le reste de sa vie.
© Pyramide Films
Notre avis : Après son départ d’URSS en 1928 et un long périple qui l’a mené de Paris à Hollywood, le génial cinéaste Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein (1898-1948) entame, en octobre 1931, un séjour de dix-huit mois à Guanajuato (Mexique), où il est venu – après bien des déconvenues hollywoodiennes – tourner un film, Que viva Mexico !, avec le soutien d’un couple de mécènes américains. Peter Greenaway, fasciné depuis toujours par le maitre russe, qu’il considère comme « le plus grand cinéaste que le monde ait jamais connu », s’est intéressé au tournage de ce film inachevé par Eisenstein ; en concluant que, dans l’œuvre du cinéaste russe, il y avait clairement un « avant » et un « après » Mexico. Que s’était-il donc passé pendant ces dix jours qui bouleversèrent en octobre 1931 la vie de Sergueï Eisenstein ? Dans son enquête, Greenaway s’est basé sur nombre de témoignages – et notamment sur les lettres adressées par Eisenstein à sa secrétaire-épouse-confidente, Pera Atasheva, dont celle-ci : « Au cours de ces dix derniers jours, j’ai été follement amoureux et j’ai obtenu tout ce que je désirais. Ceci aura probablement d’énormes répercussions psychologiques. » En revenant sur cet épisode clé, Peter Greenaway, qui au départ pensait réaliser un documentaire, s’est rendu compte qu’une fiction était finalement plus appropriée à son propos.
Que viva Eisenstein ! nous lance d’emblée dans ce Mexique révolutionnaire (mais aussi lieu de débauche du Tout-Hollywood) et tout particulièrement à Guanajuato, en pleine effervescence fin octobre 1931 pour sa célébration et son carnaval funeste du « Jour des morts ». Eisenstein se délecte de cette atmosphère à la fois paradisiaque et morbide, loin de l’emprise terrifiante de la Russie stalinienne et de l’hypocrisie hollywoodienne. Les producteurs du film lui ont réservé une superbe suite dans un hôtel de luxe et mis à sa disposition un sémillant guide mexicain, Palomino Cañedo. Ce professeur en histoire comparée des religions séduit immédiatement le cinéaste bolchevique par sa culture, sa beauté et ses diverses et chaleureuses attentions. Le beau latino-américain initie ainsi le maitre aux délices des siestes voluptueuses, le réconcilie avec son physique de « clown » et lui fait connaitre des plaisirs qu’Eisenstein semble s’être longtemps interdit. Et cela nous vaut, au cœur du film, une époustouflante scène de dévirginisation de Sergueï par Palomino, qui se conclut par un drapeau soviétique planté triomphalement par le beau Mexicain dans le postérieur majestueux du maitre…
© Pyramide Films
Cette parenthèse enchantée ne devait durer que trop peu de temps – les producteurs ayant mis un terme aux frasques et autres dépenses somptuaires d’un Eisenstein qui jouait volontiers les stars fantasques et capricieuses. Joseph Staline, pas vraiment « gay friendly », avait-il eu par ailleurs vent des agissements pas très marxistes de celui qu’il considérait jusque-là comme le cinéaste officiel de la propagande soviétique ? Sans doute, car l’homosexualité (latente ?) du cinéaste bolchévique semblait être déjà un secret de polichinelle… Toujours est-il qu’Eisenstein fut obligé de revenir illico en URSS. Mais les œuvres qui allaient suivre (Alexandre Nevski, Ivan le Terrible), centrées sur des individus, furent bien différentes de celles de la première époque (La Grève, Le Cuirassé Potemkine, Octobre), où Eisenstein filmait surtout des idées et des groupes. Au Mexique, il s’est incontestablement investi émotionnellement et a délaissé une certaine maitrise glaciale. C’est ce que Greenaway nous donne à voir dans Que Viva Eisenstein !
Il est par ailleurs manifeste que Peter Greenaway, dans son hommage à Eisenstein le visionnaire, n’a pas souhaité traiter de la naissance d’un film (on y parle très peu de cinéma !), mais bien de l’épanouissement sexuel du cinéaste. Le réalisateur britannique retrouve ainsi avec Que Viva Eisenstein ! les deux principales sources d’inspiration de ses précédentes œuvres : la mort et le sexe. Cinéaste esthète, Greenaway célèbre également le génial Soviétique en faisant preuve comme lui d’une passion folle pour l’image et le montage. Son inventivité en matière visuelle est ici extraordinaire : magnifiques travellings latéraux, amples mouvements tournoyants de la caméra, gros plans saisissants, incrustations d’images d’archives d’Eisenstein et de ses films, split screen (écran divisé), utilisation du numérique au service notamment d’un montage rapide… On retrouve aussi, dans ces décors flamboyants et baroques, une très forte théâtralité. Le cinéaste britannique a de fait choisi pour tenir les rôles principaux deux acteurs venus du théâtre : Elmer Bäck, acteur finlandais à la puissante stature, qui avec son visage poupon et une coiffure hirsute donne une dimension grandiose à Sergueï Eisenstein, et Luis Alberti, acteur mexicain tout aussi impressionnant dans le rôle de Palomino Cañedo. Sans oublier la large place laissée à la musique de Sergueï Prokoviev, collaborateur d’Eisenstein pour Alexandre Nevski et Ivan le Terrible.
Cette audace, cette démesure, cette folie dont fait preuve Peter Greenaway dans Que Viva Eisenstein ! en font une œuvre profondément humaine, émouvante et… superbe !
© pyramidefilm
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