C’est un peuple disloqué à force d’avoir été tiraillé par les mauvais démons du culte identitaire. C’est un pays qui toujours reconstruit vite sur les ruines et regarde en avant quitte à fermer ostensiblement les yeux sur le passé douloureux. Le Liban a heureusement des écrivains comme Hoda Barakat ou Elias Khoury pour réveiller sa mémoire et affronter son histoire.

Après avoir narré l’exode du peuple palestinien dans le magnifique roman La porte du soleil, l’écrivain et journaliste libanais Elias Khoury a ainsi choisi dans Yalo de conter l’histoire d’un individu pour illustrer les tourments du Liban.

Jeté en prison et régulièrement torturé, Yalo est condamné à écrire sa vie au fond de sa cellule. Seuls des aveux clairs et détaillés pourraient lui éviter de nouveaux supplices. Mais le jeune homme n’est pas coupable de tous les crimes qu’on lui reproche et doit s’astreindre à inventer et réécrire sans cesse ses confessions pour répondre aux exigences de la police.

Ce travail d’écriture conduit Yalo à réveiller ses souvenirs et retrouver la trame logique de son existence. Ancien membre des commandos des milices chrétiennes, voleur et violeur, le jeune homme est loin d’être un enfant de chœur. Mais le bourreau est aussi la victime du chaos de l’histoire libanaise.
Sa filiation même prête à confusion. Son père est-il ce Georges l’Aleppin parti sans donner de nouvelles à sa femme Gaby ou le couturier Elias le Damascène ? Sa langue est-elle le syriaque, cet idiome affilié à l’araméen disparu au fil des temps, ou l’arabe classique qui rythme les chansons d’amour ? Et qu’en est-il en réalité du dieu de son grand-père, prêtre chrétien élevé, enfant, par un mollah ? Les identités multiples se brouillent mais peu à peu, Yalo reprend appui avec l’aide des mots et retrouve un sens à son existence.

Employé comme thérapie pour ranimer le vieux combattant, héros de La porte du soleil, le pouvoir magique de la parole est de nouveau au cœur du dernier roman de Khoury. L’écriture est une forme de résistance à la mort et la parole est un fil d’amour tendu vers l’autre. "Les mots fondent dans sa bouche comme du sucre, il réussit à transformer les mots en fils, comme avec un fuseau.".Tisserand du verbe, Elias Khoury, entrelace avec toujours autant de délicatesse les mots et les phrases pour raconter les tourments d’un peuple comme la quête d’amour. De la poésie à l’état pur.