Le 7 décembre 2016
- Réalisateur : Shahrbanoo Sadat
- Festival : Festival de Cannes 2016
La réalisatrice afghane Shahrbanoo Sadat présente Wolf and Sheep, son premier long-métrage de fiction.
Du haut de ses vingt-six ans, affichant déjà une personnalité déjà très affirmée, autant dans les images qu’elle filme que dans les mots qu’elle prononce, Shahrbanoo Sadat, jeune cinéaste prodige de vingt-six ans, était à Paris mardi 29 novembre, pour nous parler de Wolf and Sheep, un premier long-métrage de fiction d’une très grande force et d’une impressionnante maturité.
aVoir-aLire : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma, de devenir réalisatrice ?
Shahrbanoo Sadat : C’est arrivé par accident, je viens d’une famille qui ne connaît absolument pas le cinéma. Nous pensions que c’était un divertissement réservé aux classes aisées. Lorsque mes parents ont immigré en Iran – c’est là-bas que je suis née – le cinéma était en plein développement, en pleine expansion.
Durant mon enfance, je ne suis allée qu’une seule fois au cinéma, dans le cadre d’une sortie scolaire, et avec ma classe, nous avions vu un film de dessin animé. De retour à Kaboul, j’ai commencé à voir des films vers l’âge de dix-huit ans ; je voulais étudier la physique à l’université, mais je me suis trompée de salle et j’ai passé, par erreur, l’examen d’entrée au cours de cinéma et de théâtre. Je ne m’en suis rendue compte que deux mois après. Ce n’est qu’après, lorsque j’ai participé aux Ateliers Varan de l’Institut Français de Kaboul, que j’ai vu de très bons documentaires, des films de cinéma vérité. Et le rêve de faire des films à mon tour a commencé à naître en moi.
Justement, Wolf and Sheep est un long-métrage de fiction, mais qui emprunte beaucoup aux codes du cinéma documentaire.
Vous avez raison, je n’ai pas une approche, disons académique, du cinéma. Le projet de ce film m’est venu en 2008/2009, sans avoir une idée précise de ce que j’allais faire. Je n’avais pas beaucoup de ressources, d’aides financières ; je viens d’un pays où il n’existe aucun fonds dédié à la culture. C’est pour ça que j’ai travaillé avec des non-professionnels, que les lieux que j’ai filmés sont des lieux bien réels ; les vêtements que portent mes personnages sont ceux que les gens dont je parle portent au quotidien, j’ai travaillé sans effets de lumière, ni maquillage. Lorsque vous regardez le film et que vous voyez tous ces éléments, vous êtes projetés vers l’idée d’un documentaire.
J’ai même souhaité tourner à l’endroit exacte où l’action est censée se dérouler, mais je n’ai pas pu le faire pour des raisons de sécurité. Je suis donc partie, avec mon équipe, au Tadjikistan. C’est là que nous avons recréé à l’identique un village afghan avant de tourner. Pourtant, il y a toujours le sentiment d’assister à un documentaire car il s’agit des vraies personnes, et puis il n’y a pas de narration classique : mon film est fait de tous ces petits détails de la vie de tous les jours, apparemment insignifiants, mais qui ont une grande importance car ils constituent la trame même de l’histoire.
Vous dites que vous ne vouliez pas que Wolf and Sheep soit une œuvre politique ? Pourquoi ?
Vous savez, au début, ce qui m’a motivé, c’était l’envie de faire un film très personnel. Je pense qu’il n’y a pas assez de films comme ça en Afghanistan. Le cinéma afghan parle toujours des grandes problématiques politiques, et tente d’expliquer les raisons pour lesquelles le pays se trouve dans l’état où il est aujourd’hui. Alors, inévitablement, ce cinéma tombe dans les clichés et ne parle finalement que de la guerre. Or, c’est justement ce que je ne voulais pas faire.
Mais, au fur et à mesure que mon film prenait forme, je me suis rendu compte, à mon corps défendant, qu’il était très politique. Montrer la vie quotidienne d’un pays en guerre sans montrer la guerre est déjà en soi un acte politique. Il ne faut pas oublier qu’au milieu des conflits armés, il y a aussi une vie de tous les jours.
Votre histoire se concentre beaucoup sur les enfants. Mais quelle place les adultes y occupent-ils ?
Je pense que vous pouvez voir les adultes à travers les enfants. Ils sont un reflet du monde des adultes. Ils sont toute la journée sur la montagne, loin des grandes personnes, mais lorsqu’on analyse leurs attitudes, l’on se rend compte qu’ils imitent les comportements des adultes : par exemple, les garçons et les filles ne sont jamais ensemble, sachant bien que c’est défendu ; leur manière de parler, tous les ragots, tous les commérages, etc… les enfants sont vraiment le reflet de ce que font les adultes.
Plusieurs scènes montrent les jeunes filles en train de jouer aux femmes mariées. Qu’est-ce que cela signifie ?
A chaque fois que je parle avec des journalistes, je suis étonnée de voir à quel point ils veulent que chaque scène signifie quelque chose (rires). En réalisant Wolf and Sheep, je n’ai pas réfléchi à cela. Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas été formée au cinéma académique. Je voulais faire un film réaliste.
Que voit-on dans ces scènes ? Des enfants qui jouent, tout simplement. Les enfants le font partout. Dans le film, les enfants s’amusent, et tout en s’amusant, ils ne font qu’imiter ce qu’ils voient. Or, dans un si petit village d’Afghanistan, le destin des filles est bien tracé, et pour elles, il est évident qu’elles vont se marier.
Wolf and Sheep est-il un film féministe ?
Je ne crois pas. De par mon histoire, je ne suis pas à l’aise avec l’adjectif « féministe » : après les attentats du 11 septembre, beaucoup d’ONG américaines sont venues en Afghanistan pour travailler sur ces questions-là. Elles ont usé et abusé du mot « féministe ».
En revanche, je pense que l’on pourrait dire que ce film montre un point de vue féminin. C’est la raison pour laquelle je dirais que Wolf and Sheep est un film féminin.
Quel regard portez-vous sur le cinéma de votre pays et sur celui de l’Occident en général ?
Vous savez, en Afghanistan, il n’y a pas d’industrie cinématographique, et les films que l’on y fait n’ont pas de point de vue basé sur la réalité afghane ; ils sont très influencé par ce que les réalisateurs étrangers ont fait sur ce pays, et ils reproduisent encore et encore ces images horribles, pleines de violences et de clichés sur l’Afghanistan, sans jamais oser faire des films plus personnels, qui viennent du fond de leur cœur ; ils vont rebattre sans cesse les mêmes sujets : les droits humains, le féminisme… et c’est dommage.
Je pense que ce serait mieux de raconter nos histoires vécues. Par exemple, les Afghans ayant immigré au Pakistan ou en Iran, reviennent en Afghanistan chargés d’histoires, mais des histoires que personne n’ose raconter. Nous manquons de confiance en nous, nous nous sentons rejetés et ne nous rendons pas compte de la valeur de ces histoires.
Quant au cinéma occidental, je dirais que la première fois que je suis venue en France, il y a six ans – c’était la première fois que je quittais l’Afghanistan – je pensais y trouver tout ce que je ne trouvais pas dans mon pays natal : la paix, la justice, l’égalité… et j’ai été très surprise d’apprendre qu’une seule femme avait obtenu la Palme d’Or au Festival de Cannes [Jane Campion, en 1993, pour La Leçon de Piano, ndlr]. Comment est-ce possible ? Les grands projets cinématographiques sont toujours proposés aux hommes. Pourquoi fait-on si peu confiance aux femmes ? Je pensais naïvement qu’en gagnant la France et L’Europe, je trouverais l’égalité parfaite entre les genres. Mais j’ai retrouvé les inégalités que celles de mon pays, habillée différemment, sous une autre forme. J’ai été extrêmement déçue.
Avez-vous d’autres projets de films ?
Je veux faire une série de cinq films, indépendants les uns des autres, mais reliés ensemble par un même fil conducteur, que l’on ne découvrirait qu’à la toute fin. Je vais conserver les mêmes personnages et les regarder grandir, voir le temps agir sur eux. Wolf and Sheep était le premier, le tournage du second débutera l’année prochaine.
Propos recueillis à Paris le 29 Novembre 2016
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