L’âge de déraison
Le 6 août 2003
L’errance d’un adolescent qui, devenant adulte, découvre que les questions sont parfois sans réponses... un livre poignant et surprenant.


- Auteur : Wajdi Mouawad

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Wahab a quatorze ans. Pour ses parents, il va devenir un homme, il mérite d’avoir enfin ses propres clés de l’appartement. Seulement voilà, le jour où il ouvre pour la première fois la porte lui-même, il ne retrouve derrière que des visages inconnus.
Ses parents, son frère, sa sœur lui paraissent étrangers, il ne reconnaît plus rien...commence alors une longue fuite, dans les rues de la ville puis au sein d’une campagne fantasmée et poétique qui rappelle les errances de Rimbaud et les fugues de l’enfance, où la nature protège et révèle.
"Dans le ciel, pas d’oiseaux. L’existence massive de la lumière."
Wahab marche, court et se cache pour fuir cette vie qui lui échappe, cette étrangeté qui le mène aux limites de la folie, à la recherche des pièces d’un puzzle qui semble absurde et sans solution.
A travers d’étranges rencontres et des amitiés brèves et fulgurantes, revenant parfois sur ses origines libanaises, dans un pays ravagé par la guerre et les cauchemars, Wahab apprend à devenir un homme avant de découvrir que cet âge adulte ne résout en rien ses souffrances et ses interrogations mais apporte aussi sa part de doutes et de révolte.
C’est peut-être ça qui fait la force de ce roman, le refus de conclure cette quête par une quelconque solution, le fait de garder jusqu’au bout les questions, de ne pas accepter une vie toute tracée.
Après un début où l’onirisme de l’enfance mène à un cheminement initiatique, la dernière partie du livre, plus dure, empreinte de cris et de colère, exprime un refus bouleversant des compromis et des petites lâchetés ordinaires, donnant à ce livre de l’errance une dimension qui dépasse de loin celle de la crise d’adolescence.
Wahab, devenu adulte, se sent toujours étranger au monde, et pourtant le ressent plus profondément peut-être que les autres. Il cherche toujours des chemins de traverse qui mènent pourtant à un affrontement inévitable avec la réalité et surtout avec ses propres démons, sans se départir d’une rage et d’une lucidité salvatrice.
Par moments, on retrouve dans cette langue à la fois simple et riche quelque chose des tirades imagées des conteurs, puis les phrases se font plus dures, plus âpres, empreintes d’une violence qui n’exclut jamais la poésie. Jamais là où on l’attend, finalement, Wajdi Mouawad parvient à surprendre avec un thème universel, ce passage vers l’âge de raison qui parfois ne se fait jamais...
Wajdi Mouawad, Visage retrouvé, Actes Sud, 2003, 210 pages, 17 €