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Le 16 décembre 2014
Pour accompagner le parcours de son héroïne discrète mais décidée Shimizu déploie une chorégraphie minutieuse qui réussit à donner le sentiment de l’imprévisible et à installer une émotion tenace.
- Réalisateur : Hiroshi Shimizu
- Acteurs : Ken Uehara, Chōko Iida, Yaeko Mizutani, Shin’ichi Himori, Reikichi Kawamura, Hideo Fujino, Kyoko Asagiri, Haruhiko Tsuda, Hideo Takeda, Einosuke Naka
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h38mn
- Titre original : 歌女おぼえ書
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– Sortie au Japon : 16 mars 1941
Pour accompagner le parcours de son héroïne discrète mais décidée Shimizu déploie une chorégraphie minutieuse qui réussit à donner le sentiment de l’imprévisible et à installer une émotion tenace.
L’argument : Durant la période Meiji (1868-1912), une artiste itinérante, Uta, rencontre un riche Maître de thé, Hiramatsu, qui l’invite à s’installer chez lui pour enseigner la danse à sa fille. Lasse de sa vie errante, elle accepte. Mais Hiramatsu meurt subitment et son entreprise menace de faire fallite.
Shôtaro, le fils aîné d’Hiramatsu, étudiant à Tokyo, revient pour s’occuper de ses frères et soeurs. Mais Uta se propose de prendre tout en charge à sa place et il repart poursuivre ses études.
Un homme d’affaires américain, nommé Smith, est prêt à investir dans l’entreprise.
Notre avis : Cent trente-septième titre de l’imposante filmographie de Hiroshi Shimizu, Utajo oboegaki - Notes d’une actrice itinérante bénéficie, comme le merveilleux Kanzachi / Le peigne qu’il tournera quelques mois plus tard, de l’apport précieux du grand chef opérateur Ikai Suketarô.
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
Mais au lieu des irisations infinies de la lumière estivale et du ton de mélancolique comédie chorale (et thermale) que déploiera le film ultérieur, c’est une inépuisable palette de gris perlés qui donnent à ce film plus grave, recueilli, une tonalité qui le rapproche de Dreyer (justement évoqué par certains commentateurs au sujet de la magnifique séquence de la veillée funèbre) et de Mizoguchi, auquel fait parfois penser cette histoire de renoncement féminin.
En effet, comme l’Otoku de Contes des chrysanthèmes tardifs (1939), Uta, la protagoniste discrète mais déterminée de Utajo oboegaki met tout en œuvre pour sauver de la ruine l’homme aimé tout en sachant qu’ainsi elle creuse l’écart social entre elle et lui.
Elle n’est pourtant pas tout à fait la sublime héroïne sacrificielle du film de Mizoguchi et son action même reste bien plus terre à terre : il ne s’agit pas de faire du jeune homme un grand artiste mais simplement de lui permettre de poursuivre ses études.
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
C’est elle ici, d’ailleurs, qui vient et retourne au monde du théâtre. Non pas celui des prestigieux ensembles de Kabuki, mais celui, bien plus modeste, des troupes itinérantes, ballottées sur les routes comme dans cette extraordinaire travelling d’ouverture où la caméra découvre les frêles silhouettes avançant d’un pas pressé entre les arbres d’une forêt.
Ces lents travellings seront fréquents aussi dans la partie centrale du film, située dans la vaste demeure du maître de thé ou dans un parc proche, et révéleront vite le caractère illusoire de la stabilité qu’Uta croyait trouver en renonçant à son existence vagabonde.
Elle aura toujours l’air quelque peu perdue, déplacée, dans les pièces immenses ou les couloirs désertés où régne un silence un peu oppressant (seules les scènes de transition étant accompagnées de musique), ou comme en examen, affrontant de sa voie ténue mais ferme, au ton posé, sa jeune élève qui la traite avec hauteur, l’américain providentiel (à l’accent russe !) et son interprète, ou encore le conseil de famille auquel elle expose son projet de sauvetage de l’entreprise.
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
Cette isolement est magnifiquement souligné dans les scènes de déambulation solitaire dans le parc, lorsque on la voit par exemple descendre un escalier en donnant machinalement un coup de pied dans ce qui pourrait être une pomme de pin, ou contempler, de dos, le lac. Et plus encore dans celle où la caméra l’accompagne latéralement alors qu’elle avance en arrière plan aux côtés du jeune fils de la maison pendant que les pieds des gamins postés sur le talus défilent au premier plan. Lorsque, l’enfant ayant rejoint ses camarades de jeux, elle se retrouvera livrée seule à cet espace menaçant elle s’enfuira dans un mouvement de panique.
N’élevant jamais la voix mais sachant se faire entendre, Yaeko Mizutami compose un personnage apparemment en retrait mais qui ne cesse de prendre des décisions, de faire des choix et de les assumer.
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
C’est elle par exemple qui impose son rythme à la longue et captivante scène d’explication avec ce jeune homme un peu désemparé, joué par un Ken Uehara (Monsieur Merci) exceptionnellement grave, qu’elle aime au premier coup d’œil mais qu’elle trouve sans doute trop jeune, trop beau, trop distingué, bref trop bien pour elle : elle l’observe, le regarde pensive, semble sur le point de quitter la pièce, se ravise, prend enfin la parole, le subjugue littéralement par l’espèce de douce ténacité avec laquelle elle expose ses plans.
Non moins étonnante sera, plus loin, la scène de retrouvailles avec un ancien collègue de la troupe devant l’entrée de la maison, lorsqu’elle se décidera à repartir sur les routes avant le retour du jeune homme aimé.
Là aussi la mise en scène de Shimizu, totalement contrôlée et réussissant pourtant à communiquer la sensation de l’imprévisible, installe un suspens étonnant d’intensité, s’appuyant sur une forme de chorégraphie subtile où la répétition, les silences et les déplacements, l’immobilité soudain rompue par un geste inattendu sont plus importants que les dialogues.
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
Cette virtuosité méticuleuse et invisible, secrète, qui installe une espèce de déséquilibre constant, de jeu entre le dedans et le dehors (la porte coulissante sans cesse refermée puis rouverte scrupuleusement), de conclusion sans cesse différée, contrecarre toute tentation d’interprétation psychologique ou symbolique mais parvient, sans recourir aux ficelles de la dramatisation ni à la sauce mélodramatique, à maintenir de bout en bout une intensité émotionnelle extraordinaire.
On le savait, mais Utajo oboegaki le confirme de manière éblouissante : Hiroshi Shimizu est un immense cinéaste.
- 歌女おぼえ書(Utajo Oboegaki) Hiroshi Shimizu - 1941
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