Sur la route
Le 3 juillet 2014
L’immense Shimizu accompagne, à juste distance, les pérégrinations d’un soldat et d’un groupe d’orphelins dans le Japon de l’après guerre.
- Réalisateur : Hiroshi Shimizu
- Acteurs : Daisuke Iwanami, Sadao Nakamura, Yotaka Iwamoto,, Shinichiro Kubota, Kiyoshi Kawanishi, Hiroyuki Mihara, Yoshikatsu Chiba,, Shoichi Gosho
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h26mn
- Titre original : Hachi no su no kodomotachi - 蜂の巣の子供たち
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– Sortie au Japon : 24 août 1948
– Photo : Saburo Furuyama
L’immense Shimizu accompagne, à juste distance, les pérégrinations d’un soldat et d’un groupe d’orphelins dans le Japon de l’après guerre.
L’argument : Après la guerre, un soldat rapatrié du front n’a nulle part où aller. Il rencontre un groupe d’enfants orphelins venus des quatre coins du Japon qui survivent en se livrant à de petits trafics de marché noir près des gares sous l’ordre d’un unijambiste. Le soldat décide de prendre en charge les enfants et de les emmener au foyer où il fut lui-même élevé.
Notre avis : Le 145ème film de Hiroshi Shimizu, le premier qu’il réalise après la fin de la guerre, se rattache à une veine particulièrement féconde de son immense filmographie (166 titres, dont une centaine, la plupart perdus, pour les seules années 1924 à 1934), celle consacrée plus particulièrement à l’enfance et qui comprend notamment Les Enfants dans le vent (1937), Les quatre saisons des enfants (1937) ou encore La tour d’introspection (1941). Dans Hachi no su no kodomotachi - Les enfants du nid d’abeilles, comme dans les films pré-cités, les enfants sont traités à égalité avec les adultes, observés avec une empathie qui ne cède jamais à la sensiblerie.
- Les enfants de la ruche (Hachi no su no kodomotachi) - Shimizu Hiroshi 1948
Nulle trace d’apitoiement en effet, ni d’emphase rhétorique, en dépit d’un sujet propice à la surenchère émotionnelle, dans ce road movie néoréaliste, tourné en décors naturels avec des non-professionnels, qui contient pourtant quelques scènes absolument déchirantes.
Une séquence de plusieurs minutes est particulièrement étonnante, et caractéristique de la manière dont le cinéaste sait à la fois faire monter l’émotion et la tenir à distance : celle où un des gamins gravit une pente en portant sur son dos un camarade malade.
C’est une longue série de plans relativement courts qui commencent toujours par les cadrer d’assez loin, en plongée, perdus dans un paysage beaucoup trop vaste pour eux, les attendent, les laissant s’approcher de l’objectif, donnant l’impression qu’ils arrivent au sommet, puis laissent la place à un plan presque identique qui les montre à nouveau en contrebas, comme si cette escalade ne devait jamais prendre fin.
- Les enfants de la ruche (Hachi no su no kodomotachi) - Shimizu Hiroshi 1948
Certes, la musique jamais grandiloquente de Senji Itô, qui répète elle aussi en boucle un même motif, contribue à installer une émotion sourde, préparant en douceur une chute qui serait insoutenable si le cinéaste avait cédé à la dramatisation facile : lorsqu’ils finissent par atteindre le sommet, que le gamin peut déposer son compagnon et embrasser enfin du regard, avec la caméra, un horizon sans limites, le sentiment de joie que la musique se garde bien de souligner cède immédiatement la place à celui de l’inutilité de cet effort surhumain, le malade ne donnant plus signe de vie.
Shimizu évite soigneusement l’effet coup de théâtre et ne s’approche pas trop de l’enfant désemparé qui regarde de tous côtés et appelle à l’aide avant de s’éloigner en courant sur un sentier, devenant de plus en plus minuscule dans la profondeur du champ.
Si la tragédie est approchée ici, ailleurs, la comédie n’est souvent pas loin, allant même jusqu’à une touche de burlesque héritée du cinéma muet (la bagarre hors champ entre le soldat et le maquereau). Mais c’est avant tout l’extraordinaire mise en espace et une espèce de respiration naturelle, de suspension, de jeu volontairement introduit dans l’engrenage dramatique, qui permet au spectateur de ne jamais être submergé par un trop plein d’émotion, le cinéaste parvenant même à maintenir tout au long des pérégrinations de sa troupe insolite à travers les paysages écrasés de soleil un sentiment de légèreté ludique, le même que dans ses merveilleux films d’avant guerre.
- Les enfants de la ruche (Hachi no su no kodomotachi) - Shimizu Hiroshi 1948
Ainsi, lorsqu’un des enfants traverse un curieux pont ondulant, il disparaît quelques instants de l’écran dans le creux de la courbe sans que la caméra s’affole de ce blanc, faisant tranquillement fi des règles narratives établies. Très souvent, d’ailleurs, elle cadre un coin de port, un bout de route, un passage à niveau, une pente de colline avant qu’entrent dans le champ les personnages ou après qu’ils en soient sortis.
Et que dire de la séquence, véritablement d’anthologie, sans qu’elle ait pourtant rien de démonstratif, qui se déroule dans Hiroshima détruite ? Elle transforme une séparation douloureuse entre les enfants et celle qui était plus ou moins devenue pour eux une mère de substitution en une véritable partie de cache-cache, la jeune femme étant obligée de se dérober à leur regards en se dissimilant derrière les ruines pour éviter qu’ils ne fassent demi-tour, ce qui se produit à plusieurs reprises, la scène obéissant elle aussi à un principe de répétition tragicomique.
- Les enfants de la ruche (Hachi no su no kodomotachi) - Shimizu Hiroshi 1948
Participant de cette mise en scène inspirée qui esquive les pièges de la dramatisation et de la psychologie, la direction d’acteur donne aux gestes à priori insignifiants une importance bien plus grande qu’aux dialogues. On retiendra par exemple, dans une première scène de séparation, celui du soldat qui, imitant les enfants, lève machinalement la main pour saluer lui aussi la jeune femme s’éloignant sur le bateau, puis, s’apercevant qu’un des gamins l’observe d’un air réprobateur pour lui signifier qu’il outrepasse ses prérogatives (c’est leur mère, pas la sienne), s’interrompt dans son élan et laisse lentement retomber son bras.
C’est ce genre de détail qui est assurément la marque des très grands et emporte ce film, comme bien d’autres de son auteur, très loin des sentiers battus et des émotions pré-digérées.
- Les enfants de la ruche (Hachi no su no kodomotachi) - Shimizu Hiroshi 1948
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