Le sens des responsabilités
Le 4 novembre 2013
Etonnante respiration, intensité de l’observation et empathie qui ne brouille pas les sens. Un sommet du shomin geki par un cinéaste encore méconnu en France mais considéré comme le représentant par excellence du genre : Heinosuke Gosho.
- Réalisateur : Heinosuke Gosho
- Acteurs : Shin Tokudaiji, Shin Saburi, Chōko Iida, Takeshi Sakamoto, Toshiko Iizuka, Mitsuko Yoshikawa
- Genre : Mélodrame
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h51mn
- Titre original : 朧夜の女 / Oboroyo no onna (la femme de la lune pâle)
- Plus d'informations : http://mcjp.fr/francais/cinema/arch...
L'a vu
Veut le voir
– Sortie au Japon : 14 mai 1936
– Directeur de la photo : Jôji Ohara
Etonnante respiration, intensité de l’observation et empathie qui ne brouille pas les sens. Un sommet du shomin geki par un cinéaste encore méconnu en France mais considéré comme le représentant par excellence du genre : Heinosuke Gosho.
L’argument :Bunkichi et sa femme, sans enfants, sont teinturiers dans un quartier populaire de Tôkyô. La sœur de Bunkichi, Otoku, est veuve et elle n’attend plus de la vie qu’une brillante carrière pour son fils, Seiichi. Ce dernier a une aventure avec une hôtesse de bar, ancienne maîtresse de son oncle. Quand Bunkichi apprend qu’elle est enceinte de son neveu, il va sauver la situation et l’avenir de Seiichi : il décide d’adopter l’enfant qui va naître pour le bien de tout le monde… (résumé extrait du programme de la Maison de la Culture du Japon à Paris / Heinosuke Gosho : beauté et tristesse - Les maîtres méconnus du cinéma japonais : 7e volet - 26 janvier 11 février 2006).
Notre avis : Contemporain de Ozu, Shimizu ou Naruse, Heinosuke Gosho (1902 -1981) est considéré comme un des grands maîtres du cinéma japonais. Il a réalisé une centaine de films entre 1925 et 1968 mais reste peu connu, du moins en France, malgré un hommage à la MCJP en 2006.
- 朧夜の女 / Oboroyo no onna (Gosho 1936)
Madamu to nyobo / Mon amie et mon épouse (1931, considéré comme le premier film japonais entièrement parlant), Hanayome no Negoto / la mariée parle dans son sommeil (1933), sa suite Hanamuko no Negoto / le marié parle dans son sommeil (1935), ou encore le très enlevé Kâchan, kekkon shiro yo / Maman marie-toi (1962) démontrent son aisance dans la comédie, mais c’est surtout au genre du shomin geki, attaché à décrire la vie quotidienne des gens ordinaires, qu’il donne quelques uns de ses titres majeurs avec notamment Jinsei no onimotsu / Le fardeau de la vie (1935), Entotsu no mieru basho kara / Là d’où l’on voit les quatre cheminées (1953), Kiiroi Karasu / Le corbeau jaune (1957) ou encore ce Oboroyo no onna souvent considéré comme son oeuvre la plus accomplie.
L’argument et la tonalité générale du film sont ceux d’un mélodrame et on rencontrera, au gré des avis émis ici ou là, quelques moues réservées, d’aucuns lui reprochant sa longueur et une lenteur jugée excessive ou trouvant bien somnolent le jeune premier Shin Tokudaiji (si extraverti, deux ans plus tard, en masseur aveugle et bagarreur dans Les masseurs et la femme).
- 朧夜の女 / Oboroyo no onna (Gosho 1936) : Mitsuko Yoshikawa et Takeshi Sakamoto ; Chôko Iida ; Shin Tokudaiji ; Toshiko Iizuka.
Il y a pourtant dans cette Femme de la lune pâle bien des éléments qui relèvent de la comédie : la mère de Seiichi qui, trouvant que son fils néglige ses études, demande à son frère Bunkichi Oboroyo no onnade lui faire la morale ; leçon qui finit en tournée des bars jusqu’au moment où, se rendant compte qu’il n’a pas de quoi payer l’addition, l’oncle est obligé de laisser le jeune homme en gage (et en tête à tête avec celle qu’il feint de ne pas connaître) pour aller emprunter de l’argent à sa soeur.
La présence de Takeshi Sakamoto (l’oncle) et de Choko Iida (la mère), spécialisés dans les rôles populaires truculents, contribue bien sûr à apporter cette note comique, même s’ils se retiennent de jouer à fond dans ce registre et évitent de transformer leurs personnages en types caricaturaux.
Mais cette dimension comique, très sensible dans les conciliabules entre voisins du début ou dans les scènes décrivant l’activité de la blanchisserie (et même dans celle su banquet funèbre plutôt joyeux qui relativise la tristesse de la séquence finale) est subordonnée à une étonnante qualité d’observation, une attention extrême aux gestes et aux ambiances : les intérieurs modestes mais où chaque objet a sa place et sa fonction ; l’animation des restaurants et des bars ; un nageur qui s’agrippe au rebord d’une piscine dans un bain public ; les extérieurs immenses avec vue sur les bateaux qui passent dans le port de Tôkyô ; la lumière du petit jour sur un quai avec une statue équestre en amorce.
Le sens de l’ellipse (la prodigieuse séquence, totalement muette, où Seiichi raccompagne Teruko, puis ne cesse de s’enfuir et de revenir), l’absence presque totale de musique qui serait chargée de souligner le drame et le choix d’une narration très fluide, volontairement étale, sans crescendos artificiels, à la respiration ample en blocs temporels ponctués par des fondus au noirs, participent de cette dimension qu’on pourrait qualifier d’ intensément observatrice et que seule une vision superficielle peut faire passer pour terne et sans relief.
Car ce qui frappe au contraire c’est le minutieux travail visant à installer une circulation permanente : mini-actions parallèles à l’arrière plan, démultiplication de l’espace (la discussion des deux belle-soeurs vue dans la glace que tient l’une d’elles) et extrême mobilité d’une caméra toujours prête à suivre les déplacements des personnages dans l’espace du plan-séquence (le jeune homme dans sa chambre à l’étage qui se lève ; la caméra qui le quitte pour emprunter l’escalier et descendre au rez de chaussée puis s’arrêter sur sa mère, assise au fond, et attendre qu’il rentre à nouveau dans le cadre), à se rapprocher d’eux ou à reculer, comme mue par une véritable empathie, une osmose émotionnelle qui ne cherche pas cependant à submerger le spectateur, à brouiller sa perception.
- 朧夜の女 / Oboroyo no onna (Gosho 1936)
Comment ne pas être bouleversé pourtant par la vision saisissante d’une plante agitée par le vent d’hiver sur le rebord d’une fenêtre devant un paysage désolé de banlieue ou par l’apparition, au terme d’un mouvement de grue quittant l’intérieur de la maison, du jeune homme s’éloignant de dos par un chemin en montée, incroyable décors de studio à l’artifice assumé, véritable paysage mental.
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.