Le 22 novembre 2005
Avec Mysterious skin, Scott Heim a livré un premier roman trouble et émouvant, porté à l’écran par Gregg Araki. Rencontre.
Avec Mysterious skin, Scott Heim a livré un premier roman trouble et émouvant, porté à l’écran par Gregg Araki. Rencontre.
Etait-ce un défi, pour un premier roman, d’aborder un thème aussi sensible ?
Oui. Quand j’ai commencé à écrire je ne savais pas jusqu’où j’irais dans cette voie. Mais au bout de quelques mois d’écriture j’ai dû choisir. A l’époque, je passais mon diplôme à l’université. Mon professeur m’a dit que si j’allais plus loin, si je creusais ce sujet sensible, le livre serait meilleur. J’ai alors pris la décision d’être audacieux et de le faire.
Néanmoins, le livre porte davantage sur la mémoire que sur l’enfance maltraitée...
Oui, c’était le plus important pour moi. Ce qui m’intéressait n’était pas tant l’expérience traumatique que le fait d’écrire sur la mémoire, sur la façon dont ils se souviennent ou dont ils occultent. C’est plus fascinant, à mes yeux, que l’expérience en soi.
Vous vous attachez à ne pas juger vos personnages...
Oui, essentiellement parce que personne dans la réalité n’est complètement bon ou complètement mauvais. Je crois qu’on a tendance à voir l’autre comme le méchant ou la victime. Par exemple, si quelqu’un est condamné pour un crime, beaucoup de gens se mettent à le considérer comme quelqu’un de mauvais. Il est facile d’oublier que même si vous faites quelque chose de mal, vous pouvez aussi être un père, une fille, un fils... Vous pouvez commettre un meurtre et être quelqu’un de très bien vis-à-vis d’autres personnes ! Je pense que personne n’est tout blanc ou tout noir ; nous sommes faits de différentes nuances de gris... Il était donc important de présenter l’entraîneur comme un être humain. Il fait quelque chose de très destructeur pour les enfants, mais il a des sentiments, des désirs, une complexité... De la même façon, je voulais que les autres personnages du livre, les personnages principaux, soient également complexes. Qu’ils puissent faire des choses dérangeantes ou négatives. Comme Neal, quand lui et Wendy kidnappent l’autre gamin. J’ai le sentiment que si ça avait été la première scène avec Neal, il aurait été plus difficile de l’aimer. Mais je savais qu’il serait plus vrai s’il faisait des choses négatives, liées d’une certaine façon à ce qui lui est arrivé.
Pourquoi cette fin ouverte ?
Je vois le livre comme une construction en forme de diamant. Cela débute au même point, puis les deux personnages prennent des directions opposées avant de se retrouver. L’histoire s’achève quand ils se retrouvent et elle établit ce lien. Vers la guérison de ce qu’ils ont vécu, d’une certaine façon. Mais je voulais aussi dire qu’une expérience comme celle-là n’est pas quelque chose dont on peut guérir. Ce n’est pas quelque chose qui se termine. Je ne pense pas que Neal va soudain devenir quelqu’un de différent. Je ne pense pas que Brian va cesser d’avoir de mauvais souvenirs. Je ne pense pas qu’ils guérissent. Ce ne serait pas très réaliste. Mais en même temps, ils sont un peu transformés l’un par l’autre ; leur trajectoire a été créée pour s’achever à ce point.
Vers une forme de rédemption ?
J’espère. Il y a un sorte de soulagement pour l’un comme pour l’autre. C’était quelque chose dont Gregg était très conscient. L’idée de rédemption, l’idée qu’ils arrivent au terme de leur voyage. Même si l’histoire peut être triste ou dérangeante, j’espère que cela la rend plus facile à recevoir, peut-être un peu plus légère vers la fin.
Avez-vous participé à l’écriture du scénario de Gregg Araki ?
De manière indirecte. C’est une longue histoire. Le livre est sorti aux Etats-Unis en 1995. Quelques années après, une production a voulu l’adapter, et m’a demandé d’écrire le scénario. Le film ne s’est finalement pas fait. Quelques années après, Gregg a lu mon roman et a eu envie de le porter à l’écran. Il voulait un scénario très fidèle au roman, ce qui n’était pas le cas de celui que j’avais écrit. A l’époque, je n’étais pas sûr que certaines scènes puissent être tournées... Gregg voulait écrire son propre scénario. Mais bien que je ne l’aie pas écrit avec lui, nous avons passé beaucoup de temps à en discuter. Je l’ai conseillé sur des choses étranges, par exemple à quoi devaient ressembler les personnages ou l’intérieur des maisons...
Y a-t-il des éléments autobiographiques dans le livre, par exemple dans le désir qu’ont les personnages de s’échapper du Kansas ?
Quand j’étais adolescent, je vivais comme Brian dans un endroit où tout le monde se connaissait. Avec mes amis, nous nous sentions très étranges ! On s’habillait bizarrement, on aimait une musique que personne n’écoutait... J’ai toujours eu l’impression de ne pas appartenir à cet endroit. Je voulais aller en ville. J’ai apporté cette expérience à mes personnages.
Quel est le rôle de la musique pour vous ?
La musique m’inspire pour écrire, même si je ne peux plus en écouter pendant que je travaille sur un livre, comme je le faisais quand j’étais plus jeune. La musique influence mes émotions plus que n’importe quoi d’autre. J’ai toujours souhaité posséder dans ce que j’écris la force que peuvent atteindre les musiciens quand ils composent. Ce qui est étrange, c’est qu’une grande partie des morceaux que j’écoutais quand j’écrivais Mysterious skin plaisaient à Gregg aussi. Il en a utilisé certains pour le film. C’était très excitant pour moi de retrouver ces morceaux, plusieurs années après, dans le film...
Les effets visuels tiennent une grande place dans le roman...
Ce n’étais pas une volonté consciente. Quand je travaillais sur Mysterious skin j’écrivais encore de la poésie et je pense que j’ai laissé ce style poétique gouverner la structure du roman. Je ne pensais pas en terme d’adaptation au cinéma. Mais il est certain que Gregg l’a très bien traduit dans le film.
Où en est votre prochain roman [1] ?
Il s’appelle We disappear. C’est à propos d’un homme, qui est plus ou moins drogué et de sa mère. Ils sont obsédés par les gens qui disparaissent. Ils décident de raconter qu’ils écrivent un livre sur les disparitions, et rencontrent les proches de personnes qui ont disparu. Ils finissent par kidnapper un adolescent. Le livre s’intéresse à la relation entre la mère et l’adolescent. Ils deviennent presque une famille... Je travaille dessus actuellement.
Pourquoi tenez-vous un blog ?
Il y a plusieurs raisons à cela. Il s’est trouvé que je recevais beaucoup de mails de gens qui avaient lu mon livre. C’est toujours très flatteur et je m’efforçais de répondre. Il y a quelques années, quand j’ai commencé à travailler sérieusement sur mon second roman, j’ai réalisé que ça me prenait beaucoup de temps. J’ai compris qu’il serait plus facile pour moi de tenir un
Propos recueillis à Paris le 20 octobre 2005
Photo©Tom Louie
[1] Le second roman de Scott Heim, In awe, publié par Harper Collins en 1997, n’est pas encore paru en français
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