Daniel Pennac prônait la liberté du lecteur. Louis-Philippe Dalembert, lui, revendique celle de l’écrivain et la met en pratique dans une œuvre multiforme, qui s’enracine dans une enfance haïtienne sans pour autant rester prisonnière du passé. La terre originelle, c’est celle que l’on porte en soi, celle par laquelle on se construit. Pour le reste, peu importe qu’on use le pavé de Bamako, Port-au-Prince ou du Faubourg Saint-Denis.
Car c’est précisément dans une rue de Paris que prend forme le dernier roman de Louis-Philippe Dalembert. Une plongée dans un monde à la croisée des cultures, des langues et des couleurs, au cœur de la canicule meurtrière de l’été 2003. L’histoire, c’est Jean qui la raconte. Un papa malien vite disparu, une maman qui rêve à son île lointaine en courant les ménages au noir. Du haut de ses onze ans, Jean tente de comprendre le monde en assimilant vaille que vaille les discours des voisins de tous bords, militants communistes, musulmans, ou petit bourgeois comme Madame Bouchereau, "l’héroïne de l’histoire", qui de la fenêtre de son deux pièces jauge le monde de la rue.
La référence est clairement annoncée. Au dessus de la mêlée, c’est l’ombre de Romain Gary qui veille aux destinées de la Rue du Faubourg Saint-Denis, et marque chaque chapitre par la voix de la Madame Rosa de La vie devant soi. Madame Bouchereau est de l’étoffe de ceux qui portent la mémoire d’un temps disparu, en plus de l’autre, celle qui flanche, celle de tous les jours. Jean va faire son éducation auprès de cette Mamie d’adoption entre deux échappées au cinéma où il peaufine sa philosophie.
Mais depuis Madame Rosa, les choses ont changé, et Louis-Philippe Dalembert témoigne ici avec humour et tendresse du monde d’aujourd’hui. Un monde où chacun doit lutter pour trouver sa place, et où les laissés-pour-compte ne font parler d’eux que dans les faits divers. Un monde complexe, aussi, où les rôles ne sont pas aussi bien définis qu’on pourrait le croire, et où tout est possible. Il nous dit surtout que ce sont les rêves qui nous portent, et que la vie est moins amère quand on garde dans sa tête un petit coin d’Eldorado.