Le 3 décembre 2013
- Editeur : Sandawe
Mais c’est quoi le crowdfunding ?
Mais c’est quoi le crowdfunding ?
Le crowdfunding est devenu le mode de financement à la mode en édition ces derniers temps pour ceux qui ne peuvent pas passer par un chemin plus traditionnel. Nouvel eldorado, aujourd’hui, tout le monde y passe depuis des auteurs débutants jusqu’à des artistes confirmés en passant par des sites internet en quête de peau neuve. Si certaines démarches méritent d’être soutenues, il n’est pas toujours facile d’y voir clair parmi la multiplicité des projets. Parmi les acteurs de ce nouveau monde, certains sont pourtant là depuis longtemps et proposent une offre de qualité.
À ce sujet, nous avons interrogé Patrick Pinchart, fondateur de Sandawe, sur ce mode de fonctionnement particulier et collectif dont les éditions Sandawe ont fait leur mode de financement avec un credo : "l’éditeur c’est vous". Mais surtout nous avons parlé de sa structure qui s’impose aujourd’hui comme un acteur confirmé de l’édition BD, sortant régulièrement des titres qui méritent qu’on en parle dont le dernier en date est Sara Lone T1.
Parcours
Bonjour Patrick Pinchart, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Bonjour. Je suis issu de cette génération de la fin des années 50 nourrie dès le biberon par la bande dessinée, les journaux "Tintin" et "Spirou", que toute famille belge lisait à l’époque. En 1971, j’ai participé à la vague des fanzines de bande dessinée (en même temps que, par exemple, Thierry Groensteen et Numa Sadoul) qui, enfin, prenait les auteurs de BD au sérieux et leur faisait parler de leur travail alors que, la plupart du temps, on leur demandait plutôt "Et à part la BD, c’est quoi, votre vrai métier" ?
En 1980, lorsque les radios libres sont arrivées, j’ai créé la toute première émission consacrée à la bande dessinée. Deux heures d’entretien chaque semaine, avec les jeunes débutants de l’époque : François Schuiten, Benoît Sokal, Jean-Claude Servais, Tome et Janry, Frank Pé, André Geerts, Yann et Conrad, Toni Cossu, Philippe Berthet, etc. Mais aussi avec les monstres sacrés, encore très accessibles : Peyo, Yvan Delporte, Morris, Franquin, Jacobs, etc. Cela a duré 16 ans.
Cette expérience unique m’a amené, en 1987, à la fonction de rédacteur en chef de Spirou. En 1993, j’ai lancé le multimédia aux Éditions Dupuis avant de redevenir rédacteur en chef du magazine en 2005, puis éditeur du journal et finalement responsable du patrimoine. Avant de quitter Dupuis pour lancer Sandawe. En 1996, j’ai également créé le site ActuaBD, que dirige actuellement Didier Pasamonik.
"A l’époque, soit on me prenait pour un fou qui allait très vite se casser la figure, soit comme un révolutionnaire qui allait mettre à mal les éditeurs traditionnels."
Comment est née l’idée « Sandawe » ?
Je suis également journaliste free-lance et, en écrivant un article sur les premiers sites de financement participatif, alors exclusivement musicaux, je me suis dit que le concept pouvait aussi permettre de financer des albums de bande dessinée. A l’époque, soit on me prenait pour un fou qui allait très vite se casser la figure (en quoi ils n’ont pas eu tort puisque, une semaine après le lancement du site, j’ai fait une chute d’escalade de 18 mètres qui a failli me tuer et qui m’a obligé à gérer la première année du site depuis... un lit d’hôpital), soit comme un révolutionnaire qui allait mettre à mal les éditeurs traditionnels. Comme toujours, la vérité est entre ces deux extrêmes puisqu’on a pu créer avec Sandawe un complément à l’édition traditionnelle.
Pourquoi ce nom ?
C’est le nom d’une tribu africaine (NDLR : prononcez Sandaoué) qui a des valeurs que j’appréciais pour le lancement d’un site communautaire. Il n’y a pas de leader, tout se décide en commun. Il n’y a pas de propriété privée, tout appartient à tout le monde. Ils vivent dans des cases (petit rappel des cases de bande dessinée) et dans un environnement extrêmement sauvage où seule leur débrouillardise leur permet de survivre. Ce qui s’est révélé une excellente métaphore du milieu actuel de la bande dessinée dans lequel sont plongés les auteurs.
Pouvez-vous expliquer le concept de votre structure et son mode de fonctionnement ?
Le système est basé sur le financement participatif, où des auteurs proposent des projets, et où les internautes (que nous appelons "édinautes" pour "éditeurs-internautes") décident de les soutenir financièrement. En échange, ils reçoivent des compensations : l’album, une édition collector à tirage limité, numérotée, des ex-libris numérotés et signés, des albums dédicacés, etc. Plus une participation aux bénéfices.
Les albums sont ensuite imprimés et distribués dans tous les circuits de librairie. Ils sont également distribués en version numérique. Les auteurs touchent une avance sur droits et des droits d’auteur comme une maison d’édition traditionnelle. Mais à la différence de celles-ci, le financement et la promotion sont opérés avec l’aide des internautes.
Récemment, nous avons ouvert la plate-forme à des projets libres. Tout initiateur de projet lié à la bande dessinée — albums, mais aussi reportages, essais sur la BD, festivals, fresques murales, art book, etc. — peut tenter d’obtenir un soutien financier en échange de contreparties. Nous avons débuté par une émission de TV consacrée à la BD, "Kaboom !". Dans ce système, tous les droits restent à l’auteur, et il la majeure partie des bénéfices lui reviennent alors que, dans l’édition traditionnelle, il ne touche que 6 à 10 % selon son contrat en échange de la cession de ses droits de propriété intellectuelle
"Je sélectionne les projets qui me paraissent suffisamment professionnels et je rejette les projets amateurs ou insuffisamment aboutis"
Comment sont sélectionnés les projets ? Et combien en recevez-vous en moyenne ?
Comme tous les éditeurs, beaucoup. Entre vingt et trente chaque mois. Je sélectionne les projets qui me paraissent suffisamment professionnels et je rejette les projets amateurs ou insuffisamment aboutis, encore une fois comme tout éditeur. Ce sont les édinautes qui, ensuite, décident d’éditer ou non.
N’avez-vous pas peur de recevoir les « restes » des autres éditeurs ? C’est-à-dire, ne craignez-vous pas que les auteurs s’en remettent à Sandawe uniquement pour des projets refusés ailleurs ?
C’est partiellement le cas, bien évidemment. Mais nous avons également des projets d’auteurs qui sont tentés par l’aventure du financement participatif. Et nous commençons à recevoir des projets d’auteurs qui considèrent que, vu les conditions financières qu’on leur propose désormais dans le circuit traditionnel, il devient déséquilibré qu’ils cèdent en échange tous leurs droits intellectuels à vie plus cinq générations... et souhaitent au moins tenter l’expérience avec les édinautes.
Combien d’albums édités à ce jour ? Quels sont les prochains ?
Dix huit ont été financés. Treize sont en librairie. En 2014, sont déjà programmés l’ultime tome du Chevalier mécanique, par Mor et Mainil, l’intégrale des cinq premiers tomes de Lance Crow Dog, par Séjourné et Perrotin, Yul et sa clique, un recueil de gags autour d’un adulescent, par Julien Mariolle (co-auteur de Game Over et de Grrreeny pour Midam), D’Encre et de Sang, signé Renaud (Jessica Blandy) et Gihef, qui se déroule à Bruxelles durant l’Occupation nazie, et le tome 2 de Sara Lone, par Morancho et Erik Arnoux.
Doivent encore s’y ajouter le tome 2 de Hell West, un magistral western en noir et blanc de Frédéric Vervisch et Thierry Lamy, Les Damnés, par un dessinateur argentin, Danilo Guida et Benjamin Leduc, et La Pluie des Corps, un roman graphique de toute beauté d’Anaïs Bernabé et Florian Quittard.
"Je prends mon "joker" pour cette question."
Quels sont vos albums préférés ? Vos plus grand succès ? Vos échecs ?
Je ne tiens pas à me mettre à dos mes auteurs en établissant un classement. Je prends mon "joker" pour cette question.
Le travail d’éditeur à Sandawe est-il différent de celui effectué dans les autres structures ?
Non, il est exactement le même. À part que nous sommes une toute petite structure pour remplir toutes les fonctions d’une grande maison d’édition : édition, fabrication, suivi de l’impression, promotion, etc. Mais à cela s’ajoute la gestion d’une communauté et des réseaux sociaux, et toute la partie logistique liée au concept du crowdfunding. Chaque sortie nécessite des centaines d’envois d’albums et de contreparties aux édinautes.
Comment expliquer le fait que des grands auteurs reconnus comme Zidrou ou d’autres aient à passer par le financement participatif pour voir certains de leurs albums édités ?
Dans le cas de Zidrou et E411 (Maître Corbaque), comme dans d’autres comme Blatte et Falzar (Zozoland) ou Séjourné et Perrotin (Lance Crow Dog), c’est pour donner une seconde existence à une série arrêtée. Pour les autres, cela revient à ce que j’ai dit auparavant.
"Au total, nous approchons de 800 000 € investis par près de 8 000 membres."
Comment se porte économiquement la structure ?
Au début, nous avons souffert d’un site déficient et lent. Grâce à des actionnaires motivés, nous l’avons entièrement refait fin 2012 et, depuis, les financement se sont accélérés. En un an, la communauté Sandawe a cru de 2937 membres. 255641 € ont été investis durant la même période. Au total, nous approchons de 800 000 € investis par près de 8 000 membres. 28% investissent dans les projets, avec un panier moyen de 361 €.
"C’est unique et c’est sans doute la première fois qu’il y a une telle proximité entre les auteurs et leurs lecteurs."
Sandawe a-t-il une spécificité numérique ?
Tous nos albums sont disponibles sur toutes les plates-formes numérique : PC, smartphones, tablettes, via des partenariats avec Ave Comics, comiXology et BDBUZZ. D’autres partenariats sont en cours de négociation.
Notez que les édinautes d’un album ont tous accès à la version numérique. Mais la spécificité principale, c’est sans doute chaque mini-site dédié à chaque album : les auteurs sont en dialogue avec leurs lecteurs, et ces derniers ont accès à des contenus exclusifs, et peuvent suivre l’évolution de la conception de l’œuvre, participer à des animations, etc. C’est unique et c’est sans doute la première fois qu’il y a une telle proximité entre les auteurs et leurs lecteurs. A ce titre, Sandawe.com est un véritable site de divertissement pour des mordus de BD. Une autre spécificité est un e-Book qui est offert aux acquéreurs du livre (et bien sûr aux édinautes) : ils y trouvent un code qui permet de télécharger en numérique un livre A5 avec du contenu exclusif comme le scénario, le story-board, les dessins de recherche, le making off, etc. Et, si cela les intéresse, ils peuvent le faire imprimer grâce aux miracles de l’impression à la demande.
La structure va-t-elle connaître de futures évolutions ?
Oui, les projets libres sont en cours de test et, dans quelques mois, seront nettement séparés des projets Sandawe. En outre, nous ouvrirons une boutique pour vendre les éditions hors-commerce et collectors qui les accompagnent. Mais nous sommes en évolution permanente, suite aux suggestions des édinautes.
Aujourd’hui le crowdfunding est utilisé à toutes les sauces, plus souvent pour le pire que pour le meilleur, que pensez-vous de cette évolution ?
Nous ne faisons pas du crowdfunding pur comme les autres plates-formes et c’est vraiment ce qui fait notre différence. Nous allons beaucoup plus loin. La sélection des projets est drastique. Nous offrons des services d’édition, de promotion, de diffusion, de distribution, que les autres ne prévoient pas car elles s’arrêtent au financement. Et nous tenons à rester dans la niche de la bande dessinée. C’est à contre-courant des autres plates-formes, qui se sont au contraire dispersées.
Une petite exclue pour les lecteurs de Bédéo ?
Quelques grands noms de la bande dessinée préparent des projets sur Sandawe, mais il vous faudra deviner qui car je ne puis encore révéler leurs noms (NDLR : lire cet article).
Nous remercions Patrick Pinchart qui a accepté de répondre à nos questions avec passion et précision.
Galerie Photos
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