Le chemin de croix de Nicola
Le 11 décembre 2010
Opposant la civilité ancestrale du monde méditerranéen à une Allemagne déshumanisée ce chef d’oeuvre dérangeant bouscule allègrement les notions de bon goût et d’unité stylistique. Sa force politique et poétique n’en est que plus grande.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Otto Sander, Ida di Benedetto, Antonio Orlando, Magdalena Montezuma, Nicola Zarbo, Harry Baer
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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– Durée : 3h
– Tournage : 9 avril - 5 juillet 1979
– Sortie en Allemagne : 14 mars 1980
Opposant la civilité ancestrale du monde méditerranéen à une Allemagne déshumanisée ce chef d’oeuvre dérangeant bouscule allègrement les notions de bon goût et d’unité stylistique. Sa force politique et poétique n’en est que plus grande.
L’argument : Un jeune Sicilien décide d’émigrer en Allemagne. Il fuit la misère et le désœuvrement de son village pour trouver une société riche mais sans âme qui le conduira au meurtre puis au tribunal.
Notre avis : Récompensé en 1980 par l’Ours d’Or du Festival de Berlin Palermo oder Wolfsburg confimait, après Nel regno di Napoli le virage réaliste-narratif opéré par le cinéma de Werner Schroeter. Les deux oeuvres devaient d’ailleurs former avec une troisième, jamais réalisée, un ample triptyque Italien.
Mais si le film napolitain, opéra néo-réaliste et roman-photo brechtien, maintenait d’un bout à l’autre une relative unité de ton, Palermo est découpé en trois actes nettement distincts.
La première partie sicilienne adopte un point de vue proche du documentaire, filmant avec un respect admiratif de fabuleux interprètes non-professionnels passés maîtres dans l’art de mettre en scène leur propre vie et de jouer leur rôle dans une comédie sociale très ritualisée dont le film ne cherche pas à masquer la cruauté mais dont il exalte la poésie.
Dans la merveilleuse galerie de personnages animant ce théâtre naïf on n’oubliera pas le vieil homme ronchon et ratiocinant qui accueille Nicola dans sa caverne d’Ali-Baba remplie de trésors de pacotille ou l’ex repris de justice converti à la poésie pendant ses quinze ans de prison.
Car si la pauvreté chronique et une injustice sociale institutionnalisée semblent irrémédiables dans la petite ville de Palma di Montechiaro, il y règne aussi une civilité, un art de vivre et surtout un goût du beau que le film nous invite à partager avec ravissement. Peut importe que le maître de musique quelque peu illuminé massacre affreusement un air de Bellini avec son choeur d’amateurs, la beauté de la musique n’en ressort qu’avec plus d’évidence.
Certes le jeune homosexuel rencontré par Nicola dans le train en route pour le Nord souligne le côté étouffant de cet univers pour lui invivable. Mais Schroeter le fait néanmoins apparaître comme un havre d’humanité miraculeusement préservé.
Les souvenirs de ce paradis perdu baigné de soleil resurgiront par flashs dans la partie allemande lorsque le paysan sicilien à la douceur angélique d’agneau sacrificiel tout droit sorti d’un film de Pasolini sera plongé dans un univers hostile où règne une agressive vulgarité. Celle-ci atteint son point d’orgue dans la scène du concours de chant lorsqu’une concurrente s’égosille sur le tube popularisé par Conny Froboess Zwei kleine Italiener (1962) déjà entendu au générique de début. Dans cette chanson de variété au paroles tellement niaises qu’elle en deviennent touchantes il est question de deux jeunes immigrés italiens saisis par la nostalgie de leur Naples natale et de leurs fiancées Tina et Marina restées au pays.
Une partie de la critique allemande a reproché au cinéaste de recourir à la caricature grossière dans sa description peu amène de Wolfsburg. Il est indéniable que Schroeter assume totalement son choix d’opposer à l’humanité méridionale la laideur de cette Allemagne là et, en ennemi déclaré de la demie mesure, ne cherche absolument pas à nuancer son propos. Pourtant il n’y a aucune rage dans son regard, mais bien plutôt une infinie tristesse.
D’ailleurs la plupart des allemands que rencontre le héros sont fort gentils et prévenants à son égard et un spectateur attentif reconnaîtra que ni la jeune Brigitte, qui joue avec les sentiments de Nicola sans mesurer la portée de ses actes, ni les deux jeunes désoeuvrés qui provoquent son geste désespéré, ne sont, au fond, bien méchants.
Le procès qui constitue la troisième partie du film est un grand moment de comique déjanté, une farce grotesque et géniale qui bénéficie de l’expérience théâtrale acquise par Schroeter depuis 1972 en montant Lessing, Wilde, Hugo, Strindberg ou Kleist sur les scènes de Hamburg, Bochum ou Kassel.
Otto Sander, en procureur finissant par réclamer lui-même le non-lieu, et l’irrésistible Magdalena Montezuma en avocate de la défense mènent la danse, mais tous, acteurs professionnels au métier affirmé ou amateurs, sur-jouent parfaitement leur partition dans cette grande machine qui ne cesse de se détraquer pour aussitôt se remettre en route tant bien que mal en un crescendo de plus en plus endiablé.
La présence permanente des deux langues, allemand et italien, contribue à donner une allure de grand finale d’opéra à cette joyeuse et délirante cacophonie basculant sans cesse de l’observation en apparence objective et posée à l’expressionnisme le plus exacerbé.
Bien sûr, c’est la perception déformée d’un Nicola totalement dépassé par ce qui lui arrive qui justifie ce déchaînement paroxystique. Les inserts d’une représentation de la passion du Christ par un théâtre d’amateurs siciliens lors de la Semaine Sainte, qui ponctuaient déjà la première partie, apparentent la passion de Nicola à un chemin de croix qui se clôt en apothéose sacrificielle.
Pulvérisant totalement les notions de bon goût, d’équilibre et d’unité de style, annihilant les distinctions entre réalisme et grotesque, entre discours politique et célébration lyrique, Palermo oder Wolfsburg est une des oeuvres les plus risquées et les plus étonnantes de Werner Schroeter. Un chef d’oeuvre dérangeant qui bouscule allègrement toutes les catégories établies.
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