Orly - La critique

Des passagers en attente d’embarquement se croisent dans l’aéroport d’Orly. Mais partiront-ils ? Tati, Antonioni, Svevo ne sont pas loin, mais l’univers de Angela Schanelec, entre comique dérisoire et drame effleuré, a sa musique bien à lui.

L’argument : Quatre récits croisés, quatre moments d’une vie dans un lieu où l’on ne fait habituellement que passer, l’aéroport d’Orly.
Une jeune femme, partant chez elle rejoindre son mari, tombe amoureuse d’un autre homme. Une mère accompagne son fils encore adolescent à l’enterrement de son ancien mari et père de l’enfant. Un jeune couple en route pour un grand voyage se perd de vue. Une femme a besoin de se retrouver dans l’anonymat de la foule des passagers pour pouvoir ouvrir la lettre de rupture que son compagnon lui a envoyée. 
Tous attendent leur vol...

Notre avis : Après Marseille où une jeune allemande errait sans repères dans une ville étrangère, et Nachmittag dont l’essentiel se passait dans une villa au bord d’un lac où des personnages se retrouvaient et se quittaient, Angela Schanelec, fascinée par les lieux neutres, a choisi de situer son nouveau film dans l’aéroport d’Orly.

Ce lieu de transit et d’attente pour les voyageurs venus de toutes parts, et embarqués chacun dans son histoire à lui, est aussi un lieu de travail pour les employés. La cinéaste observe les va-et-viens dans cette immense ruche humaine avec un regard fasciné et discrètement amusé qui n’est pas sans rappeler Tati, d’autant que le film est parsemé de détails incongrus ou énigmatiques (le chien dans le taxi, le manteau oublié, le sac de voyage dans la poubelle). On pense aussi par moments à Antonioni et on retrouve, au détour d’une scène, le motif de la photo qui voit ce que l’œil n’a pas vu.
Dans ce non-lieu vont se croiser des personnages et s’ébaucher des bribes d’histoires. Certaines sont à peines esquissées comme celle de l’employée aux enregistrements qui semble agitée par une préoccupation secrète ou celle de la jeune fille dans la dernière scène qui ne répond pas à la question qu’on lui pose ("Où allais-tu ?"). D’autres sont plus développées : celles de ces quatre couples qui se relaient à l’écran et qui prennent des tours souvent imprévus.

Chacune de ces histoires est déclinée à sa manière : romanesque pour celle du couple déjà séparé que ne relie plus que la voix off ; conversation en gros plan sur le ton de la confidence entre les deux inconnus (Bruno Todeschini et Natacha Régnier) prêts à changer, peut-être, le cours de leur vie ; échanges théâtraux entre la mère et le fils qui débouchent sur un coming out quasi vaudevillesque ; banalité apparente du jeune couple trop lisse. Schanelec joue constamment sur le fil de la comédie, du dérisoire, voire de l’absurde, tout en effleurant sans arrêt l’émotion, voire en l’affrontant franchement (la lecture de la lettre en voix off).
L’attrait du film est dans cet entre-deux, ce flottement permanent entre les registres qui n’est pas sans parenté avec l’univers d’Italo Svevo (La conscience de Zeno dont un personnage lit des extraits). Forte de son expérience de la scène, la réalisatrice sait tirer le meilleur de ses acteurs. On appréciera particulièrement le savoureux duo tragi-comique entre Mireille Perrier et le jeune Emile Berling, ou le couple de jeunes allemands, Jirka Zett, aussi lunaire que dans Nachmittag et Lina Phyllis Falkner. On retrouve aussi avec plaisir l’air grave et pensif de Maren Eggert, interprète de Marseille.

A la fin personne ne s’en va, l’aéroport étant évacué pour une raison obscure. Une heure et demie à Orly pour aller nulle part ? Pas sûr. Car les personnages se sont, un peu, trouvés eux mêmes et les spectateurs, qui sait, peut-être aussi. Mais le film se garde bien de conclure.