Le 11 octobre 2024
À l’occasion de la sortie dans une belle édition DVD-Blu-ray chez Shellac de Music, d’Angela Schanalec, notre critique du film primé pour son scénario au Festival de Berlin 2023.
- Réalisateur : Angela Schanelec
- Acteurs : Agathe Bonitzer, Aliocha Schneider, Marisha Triantafyllidou, Argyris Xafis, Wolfgang Michael
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand, Grec, Serbe
- Distributeur : Shellac
- Editeur vidéo : Shellac
- Durée : 1h49mn
- Date de sortie : 8 mars 2023
- Festival : Festival de Berlin 2023
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– Sortie combo DVD/Blu-ray : 17 septembre 2024
Résumé : Trouvé à sa naissance par une nuit de tempête dans les montagnes grecques, Jon est recueilli et adopté, sans avoir connu ni son père, ni sa mère. Adulte, il rencontre Iro, surveillante dans la prison où il est incarcéré à la suite d’un drame. Elle recherche sa présence, prend soin de lui tandis que la vue de Jon commence à décliner… Désormais, à chaque perte qu’il subira, le jeune homme gagnera quelque chose en contrepartie. Ainsi il deviendra aveugle, mais vivra sa vie plus que jamais.
Critique : Il est rare, au cinéma, de voir des creux aussi pleins. Music est un film comme un oxymore. Presque muette (pas un mot, à l’exceptions de cris ou de noms scandés comme des onomatopées dans la première demi-heure), aux plans souvent vides (l’action est repoussée hors-champ), la tragédie que met en scène Angela Schanelec fait pourtant rage sous cape. C’est une tragédie qu’il faut déceler derrière les indices. La cinéaste allemande possède ce talent rare et exaltant de faire de chaque spectateur un enquêteur, qui ausculte le moindre signe.
Encore faut-il les voir, les entendre et leur prêter juste signification. La quatrième de couverture du DVD nous aide : Music est une relecture libre et contemporaine du mythe d’Œdipe. Pas sûr que, sans cet indice, notre compréhension du film ait été la même. Et nous l’avouons tout de suite : nous ne saisissons pas complètement le dernier tiers du film, situé en Allemagne. Que signifie cette étreinte entre la fille de Jon et un jeune homme à bicyclette lors du très beau plan final ? L’homme mort dans un accident de la route a-t-il un lien avec le destin funeste de Jon ?
Peu importe, le plaisir et la beauté du film sont dans la recherche, dans l’errance. Le paysage ouvrant l’œuvre – sublime, comme l’ouverture d’un Herzog – une montagne lentement recouverte par une brume orageuse, donne le ton. La belle nébulosité, à la blancheur presque aveuglante et qui hypnotise, n’est qu’un voile qui cache le drame en cours.
- © Shellac
Les premières séquences du film, déjà cryptiques, sont peut-être les plus explicites. Au cœur d’une forêt grecque, un homme, sans doute pour sauver sa compagne, a abandonné un enfant. Le bébé est recueilli par une famille d’accueil. Pour ce qui est de la suite, la réalisatrice allemande fait le pari de la suggestion, de la piste à dénicher et à suivre.
Le premier indice, en apparence simple, donne le ton. Le bébé recueilli a les pieds striés de marques rouges, comme des varices ou de l’eczéma. Quelques plans plus tard, c’est un beau jeune homme, Jon (Aliocha Schneider), qui affiche les mêmes stigmates et leur prodigue un soin méticuleux. La conclusion est pour l’instant aisée : nous venons d’assister à une ellipse de plusieurs dizaines d’années. Seulement celle-ci n’est signifiée par aucun panneau, écriteau, fondu enchaîné ou autre effet forme d’ordinaire affilié à cette figure narrative – le spectateur comprend ainsi qu’il va passer la prochaine heure et demie à ouvrir grand ses yeux et ses esgourdes. Nous sommes d’autant plus confus lorsqu’un des personnages aperçus avant l’ellipse fait son apparition sans que la réalisatrice ait jugé bon de maquiller son acteur pour signifier les quelques vingt années qui viennent de s’écouler.
Selon Angela Schanelec elle-même, un mot résume le film : « omission ». Certains pans cruciaux de l’histoire ont lieu durant les ellipses, nombre des actes les plus intenses prennent place de l’autre côté de la caméra, ne sont visibles que dans les yeux des personnages cadrés. Il nous faut recomposer le puzzle, suivre une histoire qui avance, pointilliste, par petites touches qu’il faut savoir ne pas manquer. Aux ellipses vertigineuses et discrètes, aux dialogues rares et sibyllins, s’ajoutent les cadres. Tantôt très larges, tantôt fort resserrés, ils rendent l’action tour à tour indistincte ou hors-champ. Mais la durée des plans pousse le spectateur à tendre l’œil et l’oreille, à chercher dans la profondeur de champ ou aux quatre coins de l’image un indice auquel se raccrocher – là réside, donc, le premier plaisir de Music, qui fait de nous des spectateurs actifs.
- © Shellac
Plus encore, ce plaisir a tout à voir avec une certaine forme de suspense – ménagé dans l’espace de chaque plan, sans recourir aux mots. Mais un suspense à rebrousse-temps, d’autant plus tragique (fatalité oblige) qu’il est à rebours, inexorable. Il ne s’agit jamais de craindre qu’une action se déroule (la fameuse bombe sous la table d’Hitchcock), mais de savoir quel drame vient d’avoir lieu et pourquoi. Devant le plan le plus virtuose du film, un lent traveling latéral qui dévoile petit à petit l’ampleur d’un drame qui vient d’avoir lieu, on pense à Haneke. D’abord en cadre serré sur les pieds d’une marcheuse, un bruit de raclement pousse l’individu ainsi filmé (et la caméra avec) à rejoindre sa source ; il s’agit d’une sacoche qui, après sa glissade, trouve son point d’arrêt au moment même où la caméra la cadre ; la caméra prend alors de la hauteur, pour montrer, plus loin, un corps gisant sur le bitume, et continue sa lente course dans un travelling latéral qui filme un individu en pleurs (l’amie de la victime ? La conductrice responsable de l’impact ?) avant de s’arrêter en cadrant la voiture à l’arrêt, le pare-brise cassé et taché de sang. En un seul plan, minutieusement chorégraphié et composé, nous nous posons pas moins de cinq questions, cinq recherches, auxquelles nous trouvons autant de réponses - révélations plus glaçantes les unes que les autres.
Cette mécanique s’enrichit, parfois se juxtapose, d’une autre : l’esquisse. Lorsqu’il arrive qu’une action prenne bel et bien place dans le cadre, le montage n’en capte que son amorce ou, le plus souvent, ses toutes dernières secondes. Outre la beauté rythmique qui en découle (ces heurts – des cris, des coups, des chutes – fendent la langueur des plans longs ; le titre renvoie aussi à cette scansion interne), ces esquissent sont tout autant des nouveaux points d’accroche pour notre enquête que la preuve, nous explosant soudain au visage, de la violence, jusqu’alors sous cape, du film.
Car il y en aura, des morts et du sang, pendant l’heure quarante que dure Music. Mais, dans une étonnante démarche de compensation, Angela Schanelec, accompagne chaque drame d’une poussée de vie. Dans l’histoire, bien sûr, où Jon malgré les épreuves avance dans la vie et confirme toujours plus sa passion pour la musique. Mais dans l’espace même des plans, surtout – ils sont la véritable unité de mesure de l’art de la cinéaste. Les plans longs de la réalisatrice mettent en scène le destin funeste des héros mais, par leur durée, laissent toujours place à la respiration, à l’irruption de la vie dans le cadre. Il en va ainsi de la scène de suicide, aux deux tiers du récit : quelques secondes avant que Iro saute, un lézard sort de sa tanière, devenant, dans un pied de nez étrange vis-à-vis du nœud dramatique grave en cours, la star du plan. C’est dans cette poésie, finalement assez rayonnante, à l’image du plan final du film, lyrique et verdoyant, que Music achève de nous séduire.
Le test vidéo
Shellac qui a distribué le film en salles propose une édition de grande qualité. Nous n’avons pu tester que le DVD.
L’image
Format : 1.85 (16/9) - Couleur - PAL - Multizones
Le son
Audio : Grec DD 5.1, Grec DD 2.0, Anglais
Sous-titrage : Français
Les suppléments
Le combo DVD Blu-ray
Boîtier Digipack 2 volets avec étui
Contient :
– le Blu-ray du film (108’46")
– le DVD du film (104’24")
– 3 cartes postales / entretien avec Angela Schanelec
– 1 carte reproduction de la critique du film par Mathieu Macheret dans "Les Cahiers du Cinéma"
Pas de bonus vidéo
- © 2024 Shellac
Galerie Photos
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