Nachmittag - La critique

La mouette de Tchékhov transposée de nos jours dans une villa berlinoise, l’été. Un drame à la fois feutré et radical, parfaite démonstration de l’art affirmé de la réalisatrice allemande Angela Schanelec.

L’argument : Dans la maison qu’il partage au bord d’un lac avec son oncle souffrant, Konstantin, jeune écrivain, retrouve sa mère, actrice de théâtre ainsi qu’Agnès, son amour de jeunesse. Un après-midi d’été baigné de lumière suffit à constater la solitude de chacun et l’impossibilité des relations d’alors."J’ai conçu Nachmittag en m’inspirant de La Mouette de Tchékhov, la pièce que j’avais en tête, ou plus exactement ce qu’elle représentait pour moi, le souvenir que j’en avais gardé. La mère, le fils, le frère aîné, la maison, le lac, l’été. Chez Tchékhov, plus de deux années s’écoulent ; mais pour pouvoir en saisir l’histoire, je pensais que, pour mon film, elle se déroulerait sur un après-midi seulement. D’où le titre. Finalement, il a fallu trois jours en été pour qu’on assiste à la fin d’une famille. Le plus souvent, j’ai pensé à l’amour entre la mère et le fils qui se côtoient sans jamais se rencontrer vraiment, ce rapport qui va jusqu’au vide où l’on se perd soi-même."

Notre avis : Angela Schanelec, née en 1962 est l’ainée des cinéastes de l’école de Berlin (Köhler, Winkler, Hochhäusler...) Nachmittag - Après-midi est son cinquième long-métrage, après Das Glück meiner Schwester - Le bonheur de ma soeur, 1995, Plätze und Städten - Places et villes, 1998, Mein langsames Leben - Ma vie lente, 2001, et Marseille 2004. Son dernier opus Orly sortira en France au mois d’août.
Le film est librement adapté de La mouette de Tchékhov dont Bellocchio tourna en 1977 une version plus littérale mais également passionnante. Il reprend la configuration des personnages de la pièce et son atmosphère de villégiature estivale et garde d’ailleurs une proximité avec le théâtre. L’action est ramassée sur trois jours et ne quitte une villa du quartier résidentiel de Berlin - Dahlem, située au bord d’un lac, que pour quelques escapades dans la ville.

Une mère actrice égocentrique, jouée par Schanelec elle-même, et son fils écrivain aux tendances suicidaires sont au centre de l’action qui consiste essentiellement en échanges verbaux dont la violence sourde est multipliée par l’utilisation du hors champ. En effet, souvent, l’un des interlocuteurs est à l’image en gros-plan, de l’autre on n’entend que la voix. Ce refus catégorique du champ-contre-champ, à l’oeuvre déjà dans ses films précédents, est l’un des parti-pris les plus frappants du style de la réalisatrice. On notera aussi le refus total des mouvements de caméra et l’utilisation sans concessions du son en prise directe.
Ce mode de travail lui permet d’obtenir de ses interprètes une grande concentration, aussi bien dans les moments de silence que lorsqu’ils disent des dialogues qui sont par moments très écrits. Mais ces personnages qui se font et se défont dans la confrontation avec l’autre ont beau parler, ils gardent une opacité, un mystère amplifié par une narration elliptique, refusant les plans explicatifs. Le départ d’Agnes, l’amie du fils, par exemple, est annoncé après-coup.
Nachmittag, baigné dans la langueur et les chaudes couleurs de l’été, laisse à distance le psychodrame familial. Le spectateur conserve sa liberté de regard et le film ne lui demande pas d’empathie avec ses personnages. Il parvient pourtant à créer une belle émotion, nette et poignante.