Le monde magique de M. Tati
Le 14 août 2023
Jacques Tati livre un film somme épatant, où le génie de l’humour et de la réalisation se conjugue pour notre plus grand bonheur. Intemporel.
- Réalisateur : Jacques Tati
- Acteurs : Barbara Dennek, Jacques Tati, Léon Doyen, Yves Barsacq, Michel Francini, André Fouché
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Carlotta Films, S.N. Prodis
- Durée : 2h20mn
- Date télé : 23 août 2023 18:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 16 juillet 2014
- Date de sortie : 17 décembre 1967
Résumé : Des touristes américaines ont opté pour une formule de voyage grâce à laquelle elles visitent une capitale par jour. Mais arrivées à Orly, elles se rendent compte que l’aéroport est identique à tous ceux qu’elles ont déjà fréquentés. En se rendant à Paris, elles constatent également que le décor est le même que celui des autres capitales...
Critique : Avec Playtime, Jacques Tati montrait qu’il avait le sens de l’humour. Car si le film, grandiose, est bel et bien la "récréation" promise par le titre ("play time"), sa réalisation ne fut pas une partie de plaisir. Il faut dire que le grand Jacques n’avait pas vu les choses en petit, puisque pour "montrer l’architecture moderne", il avait fait construire une ville de verre et d’acier sur le plateau de Gravelle, dans le bois de Vincennes.
Le scénario, lui, tient pourtant en une poignée de mots : C’est l’histoire de quelques étrangers débarquant à Paris, résumait Tati. Ils découvrent un Paris ultra-moderne qui ne diffère guère de Munich, Düsseldorf ou des villes américaines. Ces étrangers vont rencontrer d’autres personnes et en particulier Hulot, qui, dans un tel décor, fait presque figure de Peau-Rouge.
- © 1967 Specta Films C.E.P.E.C. - Les Films de Mon Oncle. Tous droits réservés.
Tati poursuivait ainsi sa réflexion sur la modernité engagée avec Mon Oncle, en creusant davantage encore son idée forte : les innovations architecturales en elles-mêmes ne signifient rien, seul compte l’usage qu’en font les gens. S’ouvrant sur une visite de la cité où les personnages ne sont parfois que des silhouettes en carton et où la vie ne surgit que par la grâce de Hulot, se terminant sur un superbe ballet d’automobiles où, par un simple geste, un laveur de carreaux envoie un autocar valser dans les airs, le film oscille ainsi entre deux pôles : l’un montrant la modernité telle qu’elle est - pesante, grise, concrète -, l’autre telle qu’elle pourrait être - légère, gaie, poétique. Un contraste qui offre par ailleurs un éclairage intéressant à certaines scènes qui, au départ, pouvaient sembler un peu longues.
Tourné en 70 millimètres, Playtime est surtout un bonheur d’humour burlesque, truffé de petits plaisirs disséminés dans un cadre que Tati maîtrise parfaitement (une seule vision du film, même sur l’écran géant sur lequel il a été projeté en juin 2014 au Théâtre national de Chaillot, ne suffit pas pour en percevoir tous les détails !). S’ajoute à cela un travail époustouflant sur le son, Tati étant passé roi dans l’art du cinéma sonore, à mi-chemin entre le muet et le parlant.<
Les malheurs de Tativille
- © 1967 Specta Films C.E.P.E.C. - Les Films de Mon Oncle. Tous droits réservés.
Tativille ! Une cité entière construite sur 15 000 mètres carrés pour les besoins de Playtime. Les décors avaleront une grande partie du budget du film, qui coûtera trois fois plus cher que prévu (15 millions d’euros s’il était réalisé aujourd’hui, selon Télérama). Le tournage, en 70 millimètres avec une caméra venue des États-Unis, durera vingt mois. Et sans que les sons soient enregistrés, puisque Tati voulait les reconstituer ensuite : un travail de fou pour un perfectionniste comme lui. D’autant qu’à ce moment-là, l’artiste se sent incompris, abandonné par les financiers et l’État, qui, après lui avoir promis que "sa" ville servirait à d’autres réalisateurs, lui envoie un ordre de destruction. « J’en ai marre d’avoir sur le dos toute l’organisation du cinéma français », lâchera Tati. « Je suis comme Monsieur Hulot, un empêcheur de tourner en rond, un gêneur. Je vous jure que je ne croyais pas qu’il fallait une telle résistance physique. »
Le film sortira en 1967, trois ans après le début du tournage. C’est un échec. En France comme aux États-Unis, où Tati avait pourtant reçu un Oscar huit ans plus tôt pour Mon oncle. Playtime le laissera dépité et criblé de dettes. La fin était trop triste pour un film si gai : on ne peut que se réjouir que grâce à sa fille, Sophie Tatischeff, et au duo Jérôme Deschamps-Macha Makeïeff, il ait pu avoir droit à une nouvelle vie.
La restauration 4K du film, proposée pour la ressortie en salle le 16 juillet 2014, tient du miracle.
– Reprise en copie restaurée HD : 16 juillet 2014
– Copie restaurée en 2002 / ressortie : 3 juillet 2002
Galerie Photos
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virginierab 31 janvier 2006
Playtime - Jacques Tati - critique
Tati filme la ville moderne, organisée jusqu’à l’absurde dans un enchevêtrement d’escaliers roulants, de véhicules qui tournent en rond, de bureaux vitrés, de bureaucratie kafkaïenne...
Le personnage principal du film n’est pas Monsieur Hulot qui se perd, se retrouve et se reperd dans le dédale de la ville du futur : c’est la ville elle-même, prosopopée improbable et omniprésente.
La démonstration de Tati garde toute sa force aujourd’hui ; elle est même plus que jamais d’actualité. Autant certaines œuvres du réalisateur français ont mal vieilli, autant cette version, certes restaurée, continue de viser juste.
Dans un décor aussi gigantesque que sublime (rendu d’autant plus saisissant par les contre-plongées et les plans décadrés de Tati), le ballet de la ville, non sans rappeler celui des abeilles dans une ruche, est à la fois une grande œuvre cinématographique et une réflexion sociologique magistrale.
Et parfois, dans le métro ou dans la rue, dans un aéroport ou dans mon bureau, il m’arrive de devenir une sorte de Monsieur Hulot en observant le spectacle de la ville, sorte de créature du Docteur Frankenstein tentaculaire qui aurait fini par mener une vie propre. Et immanquablement, je repense à "Playtime".