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Le 28 mars 2006


Les ultimes aventures du détective Pepe Carvalho, créature fétiche de Manuel Vázquez Montalbán. Un livre somme.
Les ultimes aventures du détective Pepe Carvalho, créature fétiche de Manuel Vázquez Montalbán. Un livre somme.
On est souvent tenté de lire les œuvres publiées à titre posthume comme d’involontaires testaments. Ici, la tentation est d’autant plus vive que tout, dans cet ultime périple de Pepe Carvalho, écrit par Montalbán avant sa disparition en 2003, est orchestré comme un adieu au monde. Avec Milenio Carvalho, Montalbàn signait sciemment l’ultime tour de piste de son détective fétiche.
Jugez plutôt : flanqué de son fidèle adjoint Biscuter, Pepe Carvalho entame un tour de la planète. Pour fuir d’éventuels poursuivants aux méthodes musclées. Mais surtout pour dresser l’inventaire de ses mythologies personnelles, et, comme le note Biscuter, "pour dire tchao". Le détective se lance dans un périple mélancolique et jouisseur dans quelques lieux phares de l’histoire humaine, de Pompéi à Jérusalem, de l’Europe à l’Amérique latine en passant par l’Afrique. Au passage, il revisite également sa propre mémoire. Ainsi les fantômes d’un amour de jeunesse lui rendent-ils impraticables les lieux d’une ancienne escapade.
Jamais, dans les aventures de Pepe Carvalho, les emprunts au roman noir n’ont autant été un prétexte. Ici, Montalbán puise à un imaginaire littéraire multiple. A commencer par Jules Verne, bien sûr, référence obligée d’un tour du monde qui se respecte. Mais aussi Flaubert et son grand roman inachevé, horizon fantasmé de cette ample fuite en avant romanesque : pour voyager incognito, nos deux héros se font appeler Bouvard et Pécuchet... Pour autant, les deux globe-trotters ne voyagent pas seulement dans le passé : ce roman foisonnant est aussi une recension indignée de quelques-unes des tristesses de ce siècle : terrorisme, mondialisation sauvage et fin des illusions politiques. Quand Philéas Fogg sauvait, en Inde, une jeune femme du bûcher des veuves, Carvalho arrache une Afghane adultère à la vindicte de son époux...
Paradoxalement, cet état des lieux désenchanté est aussi un chant d’amour au monde et à la fiction. Tout au long du chemin, Pepe Carvalho savoure une dernière fois les séductions des sens : jubilation de fêtes gastronomiques, sensualité de rencontres éphémères, et splendeur de paysages inoubliables. Pourtant, dans un monde devenu trop étroit, l’ultime rempart demeure la fiction, dernier refuge des chercheurs de nouveaux mondes et des Don Quichotte. Et l’on pourrait dire de ce roman ce qu’écrit Montalbán à propos de la pointe de l’Argentine : "Si vous êtes cosmiquement pessimistes, vous allez adorer."
Manuel Vásquez Montalbán, Milenio Carvalho (traduit de l’espagnol par Denise Laroutis), éd. Christian Bourgois, 2006, 803 pages, 28 €