Madame l’eau - la critique + test DVD

Les nouvelles aventures de Dalarouta nous emmènent du Niger à la Hollande en passant par Paris. La magie du conte opère une fois de plus.

L’argument : Au début, on trouve un drame : la sécheresse qui sévit au Niger, l’ensablement du fleuve, le manque d’eau. À l’arrivée : une forme de comédie où l’on suit les nouvelles tribulations de Damouré, Lam et Tallou, partis cette fois pour un voyage d’études en Hollande, à la façon des Lettres persanes de Montesquieu. Infatigables globe-trotters, ils reviennent ensuite au pays avec de merveilleuses histoires et l’intention de construire leurs propres moulins.

Notre avis : Après Jaguar (1954, sorti en 67), Petit à petit (1970 et Cocorico, Monsieur Poulet !, ces nouvelles aventures du trio Damouré, Lam et Tallou retrouvent l’alchimie singulière et drolatique entre fiction et documentaire qui faisait déjà le charme irrésistible des épisodes précédents.
Adoptant le ton du conte oral tendant au merveilleux, la voix off de Rouch annonce ou commente ce qu’on voit à l’écran sans craindre les écarts criants entre le récit et l’image et impose avec une simple évidence la nécessité poétique de l’affabulation. En effet on voit bien que le bourricot de Tallou, véritable fil rouge du film, n’est pas le même au Niger et en Hollande et on l’imagine difficilement faire le voyage en avion mais on accepte quand même de faire semblant d’y croire ; tout comme on accepte de croire aux fabuleuses tulipes noires magiques qui, à peine plantées, poussent et éclosent presque instantanément sur les rives du Niger !

Madame l’eau - Damouré, Tallou et Lam

Si le ton est facétieux de bout en bout (le trio imitant les mouettes néerlandaises sur la digue au bord du fleuve africain) le sujet abordé est pourtant grave, puisqu’il s’agit de trouver une solution au problème de la sècheresse qui est en train de transformer en désert des régions entières.
Mais Rouch, qui expose très clairement, sur le mode didactique-ludique, les causes et les conséquences désastreuses de ce phénomène, se méfie des solutions toutes faites, celles qu’il appelle, dans le documentaire réalisé pendant le tournage, des cadeaux empoisonnés, et ne cherche pas à nous vendre la fragile utopie du moulin à vent utilisé pour irriguer les terres comme Le remède miracle.
Eloge de la modestie, du bricolage, de l’amateurisme revendiqué s’opposant au professionnalisme arrogant et vain, le film l’est aussi dans sa forme : récit volontairement décousu, ne cherchant pas à éviter les longueurs et les répétitions, refus de la belle image.
Pourtant la beauté est là, souvent, et Rouch trouve, mais sans les chercher justement, des compositions surprenantes (Tallou avançant dans l’embrasure de la fenêtre pendant une conversation entre Damouré et Lam puis s’y mêlant sans l’interrompre).
Laissons nous donc emporter par la voix du conteur dans ce voyage en Utopie avec les trois Rois Mages africains partant enquêter au pays des moulins à vent et plantant leurs tulipes noires magiques au bord du fleuve Niger.

Madame l’eau - Tallou et Lam

Le DVD

Madame l’eau - le DVD

En même temps que Chronique d’un été, les éditions Montparnasse éditent en DVD cette nouvelle aventure de Dalarouta accompagnée de son indispensable documentaire de tournage.

Les suppléments

Le documentaire Rouch gang (La Bande de Rouch) de Steef Meyknecht, Dirk Nijland et Joost Verhey (1993 – 70mn) accompagne Dalarouta, Jean Rouch et ses cousins de plaisanterie Damouré, Lam et Tallou, dans l’aventure de Madame l’eau entre Paris, le Niger et la Hollande.
C’est d’abord le portrait d’une amitié qui au long des décennies est devenue une véritable complicité de travail (on voit par exemple Rouch faisant les repérages avec Lam et Tallou sur une plage de la mer du Nord) et illustre à merveille la formule de Rouch : c’est en tournant qu’on devient cinéaste.

Image

On a dit que le souci de la belle image n’était pas la première préoccupation de Rouch mais les couleurs franches et la définition tout à fait satisfaisante permettent de saisir la beauté quand elle surgit soudain sans prévenir.

Son

La bande son mono est parfois saturée et les voix légèrement déformées dans les prises en direct, mais c’est un défaut d’origine qui participe du charme bricolé du film. Les intonations suaves du narrateur (Rouch lui-même, inimitable) sont elles, parfaitement captées et mixées.