Le 11 octobre 2016
Le film-phare qui fit découvrir Jean Rouch et son cinéma si singulier, mélange intime de fiction et de documentaire.
- Réalisateur : Jean Rouch
- Acteurs : Oumarou Ganda, Petit Toure, Alassane Maiga
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Durée : 1h10mn
- Reprise: 7 juin 2017
- Date de sortie : 11 mars 1959
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– Prix Louis Delluc 1958
Résumé : Trois Nigériens et une Nigérienne s’installent à Treichville, banlieue d’Abidjan, chef-lieu de la Côte d’Ivoire. Comme nombre de leurs compatriotes, ils tentent l’aventure de la ville… Amère aventure pour ceux qui abandonnent leur village et se heurtent à une civilisation mécanisée.
Notre avis : S’il a contribué à façonner l’esprit de la Nouvelle Vague, Jean Rouch, en particulier avec ce Moi, un Noir, a également nourri la réflexion sur le « cinéma-vérité » et sur les rapports entre fiction et documentaire, créant quelque chose, comme un genre à part, une dérive poétique avec des morceaux de documentaire. On est encore surpris, plus d’un demi-siècle après, par cet « entre-deux » inconfortable, constamment mobile et pourtant en sur-place et répétition permanente, surpris de ne pas retrouver ses marques, même si on a en tête le grand ancêtre, Nanouk l’esquimau (Flaherty, 1922) et les expériences de Rossellini ou Chris Marker. C’est que Rouch a modelé une autre réalité en même temps qu’il ne cesse d’interroger l’image et donc, le cinéma.
Partons donc du dispositif : le cinéaste rencontre en Côte d’Ivoire des Nigériens expatriés ; il passe du temps avec eux, puis leur propose un film avec « le droit de tout faire ». S’ensuit une captation, qui elle-même sera retravaillée par un commentaire post-synchronisé et en grande partie improvisé. On est déjà loin du documentaire traditionnel et de sa prétention à respecter la réalité ; d’autant que Rouc a inséré des scènes fantasmatiques (« Robinson » champion de boxe, « Dorothy Lamour » dans une scène lascive) et une péripétie inventée : un duel avec un Italien, qui était en fait un collaborateur du réalisateur. Tout le film tient dans ces jeux avec les différents niveaux de réalité / réalisme et, vers la fin, encore plus troublant, Rouch filme des enfants qui jouent, enfants que le commentaire reconnaît comme les protagonistes au Niger.
Comment s’y retrouver ? Ou plutôt, est-il important de s’y retrouver ? Puisqu’au fond le film que l’on voit, dans son mouvement perpétuel, son montage saccadé, ne se veut pas « professionnel », ni en tant que fiction, ni en tant qu’étude, sociologique ou ethnologique. Le pari de Rouch, donner la parole au lieu de parler sur et à la place, s’il obère toute donnée scientifique (on ne saura rien des autres Nigériens, rien du taux de chômage, etc.), aspire à dresser le portrait en actes d’une jeunesse désœuvrée, ou plutôt de quelques jeunes désœuvrés, dont on ne peut savoir s’ils sont représentatifs. Voici donc « Edgar G. Robinson » et « Eddie Constantine-Lemmy Caution », dont les surnoms renvoient à un imaginaire cinématographique occidental omniprésent, en quête d’amour et d’argent. Malgré le ton souvent badin, malgré les scènes de danse et le refrain ironique (« bon séjour »), leur vie, vécue au présent, dans la répétition que souligne le découpage en jours, n’a rien de particulièrement séduisant. Robinson ne cesse de dire qu’il est triste, que la vie est compliquée. Il
envie ceux qui ont une maison, une femme et surtout, préoccupation lancinante, de l’argent. À travers lui, se joue la déception des immigrés, teintée de nostalgie, leur impossibilité de trouver une place. Là, en quelques phrases sur des images apparemment anodines, Rouch parvient à rendre ces destins poignants, dans cette attention portée aux exclus, aux invisibles. Qu’importe alors le respect de la réalité, puisque, loin des clichés sur l’Afrique, loin des conventions cinématographiques, il révèle une vérité humaine et fait exploser tous les cadres classiques.
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