Le 15 juin 2014
- Dessinateur : Edmond Baudoin
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er juin 2014
Toujours sur le qui-vive des bons plans du festival de Lyon BD, nous nous sommes rendus à la projection d’un documentaire sur le talentueux Baudoin, auteur de BD, entre autres activités artistiques.
Mais l’inévitable problème technique se produisit et le DVD se retrouva bloqué dans l’ordinateur servant à la projection. Malheur, que faire alors ? Les bénévoles et organisateurs du festival, jamais à court d’idées et débordant d’initiative, après avoir tenté toutes les bidouilles possibles, optèrent pour l’incroyable : et si on remplaçait la projection par un entretien entre Baudouin lui-même et le public. Une personne compétente dans la salle a pris le rôle de l’animateur pendant qu’un bénévole partait en quête de l’auteur. Il revient avec Baudouin, qui ne voyait aucune raison de refuser de rencontrer son public.
Ce fut le début d’un parenthèse totalement improvisée et imprévue, et sans doute un des moments les plus touchants de cette journée de samedi...
L’auteur commence par raconter l’histoire du film documentaire qui devait être projeté.
En peu de temps d’intervalle, il eut quatre demandes venant de quatre réalisateurs différents qui souhaitaient que Baudouin soit le sujet d’un documentaire. Il accepta le premier, qui deviendrait le film de Lætitia Carboni, qui ne sera pas visible avant 2015 pour plusieurs raisons juridiques liés à la distribution en salles.
Baudouin refusa donc poliment les deux demandes suivantes mais ne put dire non à la quatrième, qui émanait de Jacques Sanson, un ami avec qui il enseigna à Québec la BD pendant trois ans. Il accepta donc, à condition que ce second film soit axé sur son travail à propos de Dali, afin que les deux films ne se ressemblent pas.
Et Baudouin enchaîne avec la fin du film, où il raconte comment la vision d’un homme dans le métro vendant des reproductions de peintures chinoises du seizième siècle l’a fait réfléchir.
Un ouvrier achète une de ces peintures et l’accroche dans son appartement car elle lui fait du bien et l’aide à aller travailler le matin. Rien ne relie ces deux hommes, ni l’époque, ni le lieu, ni les conditions de vie. Qu’est-ce que ce peintre a mis dans sa peinture qui fait du bien à cet ouvrier ? Dans son trait, la sensibilité de son dessin, il a mis l’énergie, il a mis toute sa vie. Et cette vie mortelle, cette vie qui commence par une naissance et finit par un décès, est le point commun entre cet ouvrier français et cet artiste chinois. Et l’ouvrier a senti cette vie couler dans la toile.
Baudoin cite alors Robert Filliou « L’art, c’est ce qui rend la vie plus importante que l’art. »
Une phrase qu’il aurait aimé écrire.
Et c’est ce que Baudouin essaye de faire passer dans ces documentaires mais aussi dans ses dessins, dans ses textes, même jamais publiés, dans les chorégraphies ou les musiques auxquelles il a participé.
Il veut transmettre toute sa vie, toute cette musique qui est en lui, qui n’est certes pas la même que la nôtre. Il espère pourtant que sa musique éveillera la nôtre et nous donnera l’envie de vivre plus.
Quand il sort d’un spectacle de Pina Bausch, il a envie de danser, de faire l’amour, de se promener, mais l’art n’a pas besoin d’être gai, il passe aussi à travers la tristesse des films de Jim Jarmusch.
En fait, ce que Baudouin a compris de la vie par ces diverses expériences, c’est qu’on ne peut enseigner sa musique, mais qu’on peut aider les gens à entendre leur musique.
Ayant travaillé avec le Japon, il s’est rendu compte que les repères diffèrent selon les cultures, nous lisons de gauche à droite, eux de droite à gauche. Les symbole n’ont plus le même sens, tout change. En terme de narration, les japonais peuvent passer des pages à jouer avec la psychologie des corps, comme un homme qui va allumer sa cigarette, en Europe, impossible. Par contre, au Japon, pas de récitatif, peu de bulles de dialogues dans une même case, pas de personne s’exprimant hors champ, ce qui est tout à fait viable en europe.
Tout cela amène Baudouin à un constat, il a eu un prix du scénario à Angoulême pour le voyage, l’histoire d’un homme qui traîne en allant travailler et finalement, ne se rendra jamais au bureau. Une BD réalisée au Japon, l’autre prix d’Angoulême a été pour une BD faite également au Japon, alors pourquoi s’enfermer dans notre système et refuser d’emprunter au Japon ?
Eux ne se privent pas, comme lui a expliqué un éditeur japonais. Baudouin fut contacté pour adapter le Voyage pour le Japon. Il ne comprenait pas ce qu’on attendait de lui, jusqu’à ce qu’on lui explique qu’il s’agissait de continuer la BD au-delà de là où il l’avait arrêté car les Japonais ont besoin d’un message, d’une fin à sens, proche d’une morale.
Si les Japonais, malgré les différences culturelles, font appel au Européens, c’est parce qu’ils pensent que ce sont les meilleurs et qu’ils veulent les copier pour devenir meilleur.
Baudoin n’a jamais vu comment ils le copiaient, mais l’expérience le tentait, et c’était bien payé alors...
Tout ce qu’il a demandé, c’est qu’on le prévienne de sa fin de contrat trois mois avant et, à sa grande surpris, les japonais l’ont fait !
Baudouin nous tracerait-il les portées imaginaires de toute musique intérieure ?
S’intéresser et comprendre. C’est ce que Baudouin a également fait quand on lui a demandé de travailler sur un livre à propos de Dali. Il n’aimait pas l’homme ni ses toiles, trop morbides. Mais en se penchant sur sa vie, sur ses rêves, en discutant avec les trois spécialistes de Beaubourg qui savaient tout de lui, Baudouin a appris à entendre la musique de l’homme, à discerner son humanité. Cette fuite en avant, cette peur de la mort, ce refus de la maladie, ce besoin de vivre mille vies, expliquent plein de choses. Mais d’où viennent-elles ? Dali est le second enfant, son aîné est mort, il portait le même prénom que lui et ses parents l’emmenaient sur la tombe de son frère, qui était un génie, lui.
Baudouin explique que van Gogh a vécu la même chose. Et si le peintre d’Auvers-sur-Oise est resté près de la terre jusqu’à la rejoindre plus tôt que prévu, à l’inverse l’espagnol l’a fui comme la peste, cette terre symbole de mort, et par là, a fui la mort.
Aujourd’hui, ce n’est pas que Baudouin aime Dali, mais il le comprend et peut le défendre sincèrement. Peut-être parce qu’il est aussi fou que lui ?
Baudouin nous raconte alors un souvenir d’enfance : il dessinait les têtes sans les fermer. Un jour, ses parents reçoivent une psy à dîner, toute la famille écoute cette femme de culture, qui finit par une petite phrase : les dessins permettent de discerner les tendances à la schizophrénie, par exemple, les schizophrènes ne ferment jamais les têtes qu’il dessinent. De peur de cette maladie inconnue, le petit Baudouin casque alors tous ces personnages ! Mais des années plus tard, après avoir dessiné le voyage - il a alors quarante ans - Baudouin reçoit une lettre de compliment sur sa BD, venant d’un éminent professeur de médecine spécialiste en psychiatrie. L’homme le remercie pour son travail et précise « En plus, je me sers de votre BD pour expliquer à mes étudiants la schizophrénie. » On n’échappe pas à sa musique intérieure, faut-il croire...
Aujourd’hui, Baudouin part sur un nouveau projet avec Craig Thompson, une BD ensemble. Pourquoi ce duo ? Tout oppose les deux hommes : l’âge, le pays, la langue, la religion mais leur musique intérieure les rapproche. Baudouin a constaté, au cours de leur séance de dessin, qu’ils ont tous les deux dormi longtemps avec leur petit frère dans le même lit. Cette simple note commune crée l’harmonie. Et Baudoin va recevoir Craig pendant dix jours dans son village natal avant de partir à Portland chez Craig pour continuer leur travail : se promener, échanger et... dessiner.
Puis l’entretien se finit, chacun repart de son côté.
J’ai la chance de croiser Baudouin dans l’espace dédicaces et je le remercie pour cet échange chaleureux et émouvant. Il me sourit et c’est lui qui me remercie.
A défaut d’avoir trouvé mon chemin, je reprend ma route dans le festival de Lyon BD, essayant de capter cette musique intérieure qui joue au fond de moi...
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