Le 3 avril 2025
Deux femmes, deux sœurs, deux caractères, et autour d’elles, d’immenses solitudes. Une œuvre de cinéma aussi drôle et enlevée que profondément grave.


- Réalisateur : Mike Leigh
- Acteurs : Marianne Jean-Baptiste, Daniel Webber, Michele Austin, Tuwaine Barrett
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Britannique, Espagnol
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h37mn
- Titre original : Hard Truths
- Date de sortie : 2 avril 2025

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Résumé : Pansy est rongée par la douleur physique et mentale et son rapport au monde ne passe que la par colère et la confrontation. Son mari Curtley ne sait plus comment la gérer, tandis que son fils Moses vit dans son propre monde. Seule sa sœur, Chantal, la comprend et peut l’aider.
Critique : Quand elle ne noie pas sa douleur dans le sommeil, Pansy crie. Elle hurle après tout le monde, confinée dans un univers pétri de solitude et de détresse. Sa sœur, Chantal, c’est tout le contraire. Son existence est légère, enjouée, rigolarde même, avec ses deux grandes filles qui ne s’abandonnent jamais à la tristesse, en dépit des épreuves sentimentales ou professionnelles qu’elles peuvent traverser. Mike Leigh oppose ainsi deux visions de l’existence. La première est remplie d’une mélancolie infinie qui ne parvient jamais à se réparer vraiment, là où la seconde remplit les vides par le rire et la légèreté. Après presque six années de silence sur les écrans, Mike Leigh fort de cinquante ans de carrière cinématographique, nous revient avec le portrait de ces deux femmes que tout oppose, dans une Angleterre urbaine où, pour une fois dans une œuvre britannique, il n’est pas question de lutte des classes ou de désarroi social. La désespérance qui se lit dans le personnage de Pansy est psychologique, psychiatrique presque, avec tous les impacts délétères que cela peut avoir sur ses proches.
En effet, Mike Leigh ne se contente pas de mettre en scène les émois hystériques de sa protagoniste. Il regarde l’impuissance de toute une famille face à cette détresse, avec ce mari silencieux, qui reçoit les coups sans répondre, et ce fils de vingt-deux ans, obèse, qui traîne sa dépression dans les rues où il erre sans but. Mike Leigh parvient à rendre très humains ces personnages qui pourraient succomber à une forme de caricature, tant ils sont campés dans des traits de caractères tranchés. Au fur et à mesure que la narration s’écoule, il éclaire la profondeur de ces êtres, suspendus à la maladie mentale de la mère de famille, incapables de la soutenir et dans une attente désespérée qu’elle change.
- Copyright Thin Man Films Ltd.
Deux sœurs est un film où l’on rit beaucoup. Du moins la première heure. Car peu à peu, le ton s’assombrit, montrant des personnages incapables de répondre à la douleur infinie de Pansy. Le couple central est très touchant, jusque la scène finale qui va droit au cœur du spectateur. Le réalisateur témoigne des malentendus, des non-dits qui étranglent nombre de couples qui ont installé une dépendance économique irrésistible. Le désamour entre eux n’est pas non plus si évident. Il témoigne de l’incapacité qu’ils ont à s’apporter des solutions, du soin face à des comportements marqueurs de leur souffrance respective. La musique, cette fois, devient triste, en opposition totale avec la première partie du film où l’agressivité de Pansy revêt toutes caractéristiques de la farce et du burlesque.
Mike Leigh réalise ici un long-métrage d’une très grande subtilité. L’écriture du scénario est très précise, évitant les ressorts trop théâtralisant. Il s’agit d’un véritable travail de cinéma, avec cette façon si magistrale de filmer les regards, les rues, les habitations, et l’intérieur des maisons. Finalement, le film révèle une technicité extrêmement aboutie, en dépit d’une épure apparente dans les effets cinématographiques et l’esthétique générale de l’image.
- Copyright Thin Man Films Ltd.
Le long métrage ne serait pas de cette qualité sans l’interprétation stupéfiante de Marianne Jean-Baptiste. La comédienne britannique avait d’ailleurs été révélée en 1996 grâce Mike Leigh lui-même avec son fameux Secrets et mensonges, récompensé de la Palme d’Or à Cannes. L’incarnation du rôle va jusqu’à l’acceptation de prendre des kilos. La jeu de la voix, les tics du corps, l’emportement permanent de son personnage, poussent réellement à l’admiration. C’est elle, avec dans une moindre mesure Michele Austin, qui donne à la fiction une intensité particulière. Les deux femmes occupent l’écran dans une ampleur absolument bluffante.
Deux sœurs surprendra le spectateur, notamment dans son dénouement. Dans tous les cas, Mike Leigh clôt un demi-siècle de cinéma avec une œuvre qui rend compte d’une maîtrise absolue dans l’art de la mise en scène.