Aux côtés des agents chargés de la protection du vice-président des Etats-Unis, l’étourdissant roman d’une Amérique psychotique.

Drôle de parcours que celui de Mark Costello : procureur fédéral à New-York lorsqu’il publie son premier polar sous pseudonyme, co-auteur d’un essai sur le hip-hop et aujourd’hui enseignant, il reprend la plume (sous son vrai nom cette fois) pour écrire Les maîtres du jeu. Un pari qui lui a valu une nomination pour le National Book Award.
Costello n’est pas le seul à prendre des risques dans cette affaire : le lecteur aussi dès lors qu’il s’aventure dans les méandres de cet étourdissant roman, à tel point qu’il est ardu de le raconter. Pourtant, Les maîtres du jeu débute de manière classique : des anecdotes sur l’enfance paisible d’un frère et de sa sœur dans le New Hampshire racontées à la première personne. Et si on comprend rapidement que la voix est celle de Vi Asplund, les certitudes quant à son rôle dans l’histoire s’effondrent aussi vite qu’elles se sont édifiées. Et pour cause, Les maîtres du jeu n’a pas exactement d’histoire, au sens où on l’entend habituellement. Il ne s’articule pas autour d’une linéarité traditionnelle : car si il y une intensité dramatique crescendo, tout l’habilité de Costello est de ne pas en marquer précisément le début.
Vi Asplund (la voix féminine des premières pages), est un agent fédéral chargée de la protection du vice-président des Etats-Unis en campagne électorale. Mais elle est surtout le lien entre les différents protagonistes du récit. Elle sert de prétexte pour évoquer Jens, son propre frère d’abord, génie de l’informatique qui se fourvoie en programmant un jeu en ligne dont le succès n’a d’égal que la violence. Mais aussi, Gretchen, une mère célibataire de quarante ans qui a du mal à assurer sur les deux tableaux, Tashmo, un vieux de la vieille qui rumine une trahison, et les autres membres de l’équipe. Et chaque personnage devient à son tour l’argument pour dresser d’autres portraits : un agent immobilier, un théoricien de la conspiration ou une bénévole chargée d’emmener les électeurs voter (quitte à les aider fortement dans leur choix).
Implacablement, Mark Costello tisse sa toile, une toile au maillage très dense et complexe, mais en même temps fragile et chancelante : un symbole d’une certaine Amérique psychotique, incapable d’établir des rapports humains sereins et si prompte à se replier sur elle-même. Costello a su décortiquer de manière quasi clinique ce processus : son acuité à stigmatiser chez chacun la faille fait des Maîtres du jeu un roman qu’il faudra relire pour être certain d’en avoir saisi toutes les subtilités.