Le vieux jockey (Stary Naezdnik) - La critique du film

Toute la grâce burlesque du cinéma de Barnet dans une comédie pleine de joyeuse vivacité mais teintée de mélancolie que la censure soviétique garda au frais pendant vingt ans.

L’argument : Ivan Sergueïevitch Trofimov est jockey à l’hippodrome de Moscou.
Maroussia, sa petite-fille, arrive pour la première fois dans la capitale.
Obligé de prendre sa retraite Trofimov rejoint à contre coeur sa campagne natale.
Au kolkhoze, il repère le cheval Egorka dont il veut faire un champion.
Mais le président du kolkhoze, Zot Iakovlevitch, échange Egolka contre une automobile.
Trofimov et Vassia, le palefrenier, retrouvent le cheval et l’entraînent pour les épreuves de trot au cours desquelles Vassia et Egolka vont remporter une victoire qui déjoue tous les pronostics.

Notre avis : Boris Barnet, le plus singulier et le plus attachant des cinéastes russes de l’ère soviétique, a pu à l’occasion exceller dans le drame : l’implacable Odnazhdy nochiu / Une nuit (1944) , ou encore le superbe film d’espionnage Podvig razvedchika /L’exploit de l’éclaireur (1947). Mais c’est avant tout le registre de la comédie qui lui a permis de trouver un ton propre, fait d’inventivité burlesque débridée et de grâce chorégraphique dans les irrésistibles bandes muettes (Miss Mend, La jeune fille au carton à chapeau, La maison de la rue Troubnaïa), davantage teinté de mélancolie dans les magnifiques Okraïna (1933), Au bord de la mer bleue (1935), Le lutteur et le clown (1957).

Le vieux jockey / Старый наездник (1940) Boris Barnet / Борис БАРНЕТ

Cette mélancolie est évidemment inscrite au coeur du Vieux jockey puisqu’il y est question de la vieillesse, le protagoniste étant un ancien champion des champs de course obligé de prendre sa retraite. Certes, la tristesse n’est que passagère puisque, comme le déclare le cinéaste lui-même en défendant son film dans la revue Ogonyok (n°5 du 15 février 1941*) : la société soviétique permet à cet homme de retrouver son milieu vital, son amour de sa profession, son optimisme.
Néanmoins ce discours ne semble pas avoir convaincu les autorités en place puisque le film resta dans les placards pendant près de vingt ans pour n’en sortir qu’à l’époque du dégel, en 1959.
Au-delà même de la mélancolie sous-jacente, on constatera une fois de plus que Barnet n’est jamais un donneur de leçon et à quel point son cinéma reste foncièrement irréductible à toute instrumentalisation idéologique des personnages et des situations.

Le vieux jockey / Старый наездник (1940) Boris Barnet / Борис БАРНЕТ

Avec ses courses hippiques, son grand café à porte tournante ou son kolkhoze d’opérette l’univers soviétique décrit par le film est presque aussi improbable et occidentalisé que dans les comédies musicales du couple Alexandrov – Orlova et l’exubérance burlesque y est parfois un brin appuyée (le duel entre le serveur et la jeune fille aux mines expressives ; la voiture qu’il faut à plusieurs reprises tirer du fossé).
Mais la caricature n’est jamais méchante ni dénonciatrice et le charme propre au cinéma de Barnet opère pleinement dans ce film aux allures modestes dont le souci de justesse fait fi des invraisemblances apparentes et dont la réussite dépasse largement le cadre des ambitions affichées.

Le vieux jockey / Старый наездник (1940) Boris Barnet / Борис БАРНЕТ