Stretch -La critique

Alliage insolite et captivant d’acuité du regard documentaire et de romanesque intense, le film de Charles de Meaux propose un voyage fébrile dans un monde où tout peut basculer à tout instant.

L’argument :Quand Christophe, jeune jockey ambitieux, est suspendu pour six mois, il s’exile à Macao afin de continuer à courir. Il y connaît rapidement la gloire, avant de perdre ses illusions lorsque son entraîneur lui demande de perdre volontairement une course pour augmenter les gains des paris. Prenant conscience de la violence du monde dans lequel il évolue, Christophe prendra son destin en main avec l’aide de Pansy, une belle et mystérieuse Chinoise.

Notre avis : Shimkent Hotel, le film précédent de Charles de Meaux, nous transportait en Asie Centrale à la suite de jeunes français ayant racheté une usine de plutonium et bientôt dépassés par ce qui leur arrivait dans un environnement dont les repères leur restaient étrangers.
C’est une expérience du même ordre que nous fait partager Stretch dont le protagoniste, catapulté à Macao, est à la fois grisé et effaré de se trouver entraîné dans la spirale vertigineuse du succès, de l’argent et du jeu dans un monde étrange, aux règles impénétrables et perverses, où il a la sensation d’être perdu. Ses tentatives de se raccrocher à l’univers familier de sa vie précédente au moyen de textos qui s’inscrivent à l’écran et de messages qu’on entend en voix off s’avérant inutiles.

Le sentiment grisant de flottement et de menace diffuse ressenti par le personnage, le film parvient admirablement à le communiquer au spectateur en évitant de recourir aux ficelles de scénario trop voyantes et aux effets dramatiques appuyés.
La première partie, se déroulant en France, à Maisons-Laffitte et Longchamps, frappe par son rythme haletant et la précision documentaire avec laquelle sont décrits le monde des courses et les moindres détails du quotidien d’un jockey, au point que l’attention est tendue à ne rien laisser échapper des informations précieuses dont fourmille chaque plan.

La partie asiatique est plus distendue et comme pleine de trous, alternant les moments de grande tension, sur les champs de courses ou dans les casinos, à des scènes de déambulations dans les rues de cette ville à la fois réelle et totalement fantasmatique, où les gratte-ciels et les enseignes au néon géantes côtoient les vieilles demeures portugaises. La violence, celle du polar, sourd sous l’urbanité de façade pour surgir brièvement lors d’une séquence traumatique. Mais le danger et la menace d’un basculement dans le tragique sont perceptibles à tout instant et l’existence y est sans cesse remise en jeu.

Le basculement redouté a eu lieu pendant le tournage lorsque l’acteur David Carradine est mort brutalement en avril 2009 (sa mort est annoncée à la radio au début du film). Sa disparition a amené Charles de Meaux à réduire son rôle au minimum, faisant ainsi de son personnage, fort énigmatique, une présence-absence obsédante.
Mais le personnage de Pansy, qui renonce à son rêve d’Amérique et qui est prête à jouer son va-tout par amour, reste lui aussi mystérieux jusqu’à la fin en suspens de Stretch, un arrêt brusque nous permettant d’imaginer une issue heureuse bien improbable.

L’actrice Fan Bing Bing, très célèbre en Chine, apporte au rôle une espèce de calme inquiet et sa présence, aux côtés d’un Nicolas Cazalé, étonnant de concentration fébrile, insuffle à Stretch un romantisme subtil auquel il est difficile de résister.
Ce film inclassable réussit à raviver et à renouveler les grandes mythologies romanesques grâce à eux et à l’acuité du regard documentaire que Charles de Meaux porte sur le monde qu’il nous invite à explorer avec lui.

La bande-annonce / trailer : ICI