18 fois Shanghai
Le 29 avril 2024
L’histoire de Shanghai resurgit en dix-huit portraits tout juste ébauchés mais bouleversants. Ce film, comme tous ceux de Jia Zhangke, conjugue la sophistication extrême et l’absolue simplicité.
- Réalisateur : Jia Zhangke
- Acteurs : Zhao Tao, Wei Wei, Rebecca Pan
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Chinois, Néerlandais
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 1h58mn
- Titre original : 海上传奇 / Hai Shang Chuan qi
- Date de sortie : 19 janvier 2011
- Festival : Festival de Cannes 2010
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Résumé : Shanghai, fascinante mégalopole portuaire, a connu d’immenses bouleversements depuis 1930 : révolutions politiques et culturelles, assassinats, flux de population. Dix-huit personnes se remémorent leurs vies dans cette cité en perpétuelle évolution, leurs expériences personnelles, comme dix-huit chapitres d’un roman.
Critique : Lion d’or à Venise avec Still life en 2006, en compétition officielle à Cannes en 2002 avec Plaisirs inconnus et en 2008 avec 24 City, Jia Zhangke était à nouveau à Cannes en 2010 dans la section Un Certain Regard avec ce portrait kaléidoscopique de la ville de Shanghai à l’heure où se préparait l’exposition universelle.
Ceux qui reprochent à l’auteur de Shijie - The World (2004) sa tendance avérée au maniérisme auront beau jeu de voir dans son nouvel opus une espèce de gigantesque pub à la gloire de la mégalopole chinoise. Il est vrai que cette impression pourra effleurer l’esprit à l’écoute de la musique vaguement planante de Lim Giong qui accompagne par moments les déambulations de Zhao Tao, l’actrice fétiche de Jia depuis Zhantai - Platform (1999), lors de plans purement descriptifs sensoriels ne reculant pas devant l’usage du ralenti. Mais les amples mouvements de caméra découvrant le port noyé de brumes ou explorant amoureusement les vastes usines désaffectées sont chargées d’une mélancolie qui déborde le cadre de la belle image. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser, en voyant ces vestiges encore fumants d’une ère industrielle révolue, au superbe Tie Xi Qu - À l’ouest des rails de Wang Bing.
Les cadrages surprenants et la superbe photo de Yu Likwai ne célèbrent pas tant la monumentalité incontestable de cette ville en pleine transformation, saisie par la fièvre du néocapitalisme triomphant et où tout est démesuré, qu’ils ne font ressentir sa fragilité, le dérisoire même de ces tours partant à l’assaut du ciel et de ces autoroutes surélevées éventrant le tissu urbain.
La beauté de ces plans vertigineux est d’autant plus vive qu’ils nous donnent le sentiment de voir l’histoire en marche, emportant dans sa course folle un passé qui n’est pourtant pas mort et dont les traces douloureuses sont bien visibles encore.
C’est ce passé toujours présent qui intéresse le cinéaste. Dix-huit témoins racontent leur histoire, liée à celle de la ville, ou celle de leurs parents. Le Shanghai des concessions internationales et des triades, celui de la guerre civile ou celui de la Révolution culturelle ressurgissent au fil des récits ou des extraits de films anciens, toujours de fiction.
Zhia Zhang Ke interroge aussi bien les enfants de militants communistes assassinés dans les années 1930 ou 40 qu’une ancienne ouvrière modèle de l’ère communiste ou que « Yang le millionnaire », ex-ouvrier ayant fait fortune en spéculant sur les bons du Trésor dès leur mise en bourse en 1988. Le monde du cinéma est fortement représenté à travers les témoignages de Wei Wei, élégante nonagénaire, qui fut l’inoubliable interprète de Printemps dans une petite ville, le chef-d’œuvre de Fei Mu (1948), ou celui du fils de Shangguan Yunzhu (1922-1968), l’une des Sœurs de scène du très beau film de Xie Jin (1964), suicidée au moment de la Révolution culturelle.
Aucune volonté d’exemplarité dans tout cela, chacune de ces dix-huit personnes ne prétendant raconter rien d’autre que sa propre histoire et le regard attentif que leur accorde le cinéaste leur permettant d’exister à l’écran pour elles-mêmes, sans souci de représentativité. Tous ces portraits, à peine esquissés pourtant, sont bouleversants.
Les scènes quotidiennes que Jia Zhang Ke filme dans les rues, les cafés, les friches urbaines n’ont pas fonction de remplissage. Ce sont peut-être même elles qui touchent le plus profondément. Peu importe qu’elles soient simplement captées sur le vif ou discrètement mises en scène, comme celle du gamin qui roule les mécaniques en demandant à la ronde qui veut se mesurer à lui. Tous les films du cinéaste, depuis Xiao Wu, artisan pickpocket tirent leur force de ce refus de distinguer fiction et documentaire et de la désarmante simplicité avec laquelle sont assumés les dispositifs de mise en scène les plus sophistiqués.
Car, paradoxalement, l’artifice extrême est synonyme, chez Jia Zhangke, de totale évidence.
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