L’oublié du palmarès de Cannes 2015
Le 29 avril 2024
Cette chronique familiale teintée d’émotion montre une évolution dans l’œuvre de Jia Zhangke, qui signe un film touchant tout en restant intransigeant dans sa forme.
- Réalisateur : Jia Zhangke
- Acteurs : Zhao Tao, Han Sanming, Jing Dong Liang, Zijian Dong, Sylvia Chang
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Chinois
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 2h00mn
- Date télé : 14 août 2019 20:55
- Chaîne : Arte
- Titre original : Shan he gu ren
- Date de sortie : 23 décembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Zhao est partagée entre deux hommes. Sa vie familiale et affective se déroule en parallèle d’un quart de siècle de bouleversement de l’économie et de la société chinoise.
Critique : Lauréat du Carrosse d’or qui lui a été décerné lors de la cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, Jia Zhangke a présenté six jours plus tard ce très beau film en compétition officielle. Le récit est découpé en trois parties, et débute en 1999. On y suit les relations amoureuses et amicales entre Tao, Zhang et Liangzi, dans la ville de Fenyang. Zhang, propriétaire d’une station-service, est destiné à un avenir prometteur, quand Liangzi use sa santé dans une mine de charbon. Entre les deux hommes, le cœur de Tao balance... On songe un temps de la projection à un Jules et Jim chinois, mais le cinéaste nous mène sur une fausse piste. La seconde partie est axée sur la période actuelle, qui dévoile une Tao divorcée et désabusée, n’ayant plus la garde de son petit garçon, et n’entretient que des rapports épisodiques (et difficiles) avec les deux hommes qui ont marqué sa jeunesse. Enfin, un troisième volet situé en 2025 nous transpose en Australie. Dollar, le fils de Tao et Zhang, y vit avec son père et suit des cours de commerce, tout en travaillant dans une société de restauration à domicile. Une chanson écoutée lors d’un cours de chinois exerce sur lui l’effet d’une madeleine de Proust...
- © Office Kitano
Le film de Jia Zhangke traverse un quart de siècle au cours duquel la Chine a connu des transformations profondes, et pas seulement sur le plan économique. Car l’argent est devenu au centre des rapports sociaux. « Dans la vie quotidienne des Chinois d’aujourd’hui, je constate une perte profonde de cette relation d’engagement réciproque, et elle affecte aussi les souvenirs », a déclaré le réalisateur. La grande force de Mountains May Depart est de traiter ce thème de l’effritement des liens sociaux avec l’écrin d’un beau mélodrame, audacieux dans sa construction, puisque les trois personnages principaux ont de moins en moins d’interaction narrative. Et ils s’effacent progressivement pour céder la place à celui qui incarne la jonction entre le présent, le passé, et l’avenir de la Chine. En même temps, le cinéaste a expérimenté diverses techniques, notamment celle qui consiste à juxtaposer plusieurs formats, du 1,33 au Scope, en passant par le 1,85. Ce procédé a été possible par des séquences accumulées durant le tournage des films précédents. Il ne faut pas y voir une coquetterie de style mais la volonté de traduire le sentiment de perte de repères tout comme la difficile ouverture des personnages, métaphore des bouleversements de leur pays. Et pour la première fois dans son œuvre, Jia Zhangke se laisse aller à un lyrisme et une émotion que l’on ne trouvait pas dans ses autres réalisations, de Platform à A Touch of Sin.
- © Office Kitano
Le mélodrame sied à ce peintre des turpitudes humaines, et il se pourrait que Mountains May Depart constitue un tournant dans sa carrière, de la même façon que Paris, Texas révélait une autre facette de Wim Wenders et élargissait son audience. La chanson Take care de Sally Yeh distille d’ailleurs la même force émotionnelle que la partition musicale de Ry Cooder... Bien épaulé par son chef opérateur Yuk Lik-wai, Jia Zhangke tire le meilleur de ses interprètes, à commencer par Zhao Tao, son épouse et actrice de prédilection. Elle trouve ici la puissance des grands noms du mélodrame américain, de Joan Fontaine à Julianne Moore. Dans le rôle de Mia, la professeure entre deux âges qui aura une relation affective avec Dollar, Sylvia Chang, qui a illuminé des films de Johnnie To ou Ang Lee, est l’autre atout féminin. Mountains May Depart n’a obtenu aucun prix au palmarès du 68e Festival de Cannes. On peut le regretter au vu de ses qualités indéniables.
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