Le 10 mai 2021
Premier long métrage de Roman Polanski, Le couteau dans l’eau est une date dans l’histoire du cinéma polonais et devait valoir à son réalisateur un passeport pour tourner dans les pays de l’Ouest.
- Réalisateur : Roman Polanski
- Acteurs : Leon Niemczyk, Jolanta Umecka, Zygmunt Malanowicz
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Polonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 1h34mn
- Reprise: 24 mai 2017
- Titre original : Nóż w wodzie
- Date de sortie : 26 avril 1963
- Festival : Festival de Venise 1962
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– Sortie DVD & Blu-ray : 5 mai 2021
Résumé : Andrzej et son épouse Krystyna décident de partir en croisière. Sur une route de campagne déserte, ils prennent en stop un jeune étudiant et lui proposent de les accompagner en mer. La différence sociale entre le couple et leur invité va rapidement provoquer quelques frictions…
Critique : Le couteau dans l’eau est le premier long métrage de Roman Polanski, et l’unique qu’il ait tourné dans sa Pologne natale, si l’on excepte la coproduction Le pianiste, palme d’or à Cannes en 2002. Diplômé de l’école de cinéma de Łódź, Polanski avait réalisé plusieurs courts métrages, dont deux sont de véritables chefs-d’œuvre, à savoir Deux hommes et une armoire (Dwaj Ludzie z Szafą – 1958 – N&B – 15 mn) et Quand les anges tombent (Gdy spadają anioły – 1959 – N&B et Couleurs – 22 mn). Coécrit avec deux scénaristes dont Jerzy Skolimowski (futur réalisateur de Deep End), le script du Couteau dans l’eau fut refusé par le ministère de la culture du gouvernement polonais. Ce n’est qu’après avoir obtenu la recommandation du réalisateur et professeur de cinéma Jerzy Bossak (1910-1989), et accepté de d’ajouter un pseudo-argument social au film, que Polanski put entreprendre le tournage. Celui-ci eut lieu avec la méfiance des autorités, qui demandèrent de remplacer la Mercedes du couple central par une Peugeot 404, moins luxueuse et davantage politiquement correcte, conformément aux codes du réalisme socialiste. Car le cinéma polonais de l’époque, comme celui des autres pays de l’Est, baignait dans cette doxa, en dépit de l’originalité thématique et esthétique de grands auteurs tel Andrzej Wajda. La trame du Couteau dans l’eau peut faire songer au début de La dame de Shanghai d’Orson Welles ou à l’intrigue de Plein soleil de René Clément : une croisière avec un couple et un autre homme, une ambiance oppressante dans un cadre conflictuel, des rapports de manipulation… Polanski s’approprie ce matériau en concoctant un récit épuré respectant les unités de temps, de lieu et d’action, et comportant uniquement trois personnages : on songe aux futurs castings minimalistes de La jeune fille et la mort, Carnage ou La Vénus à la fourrure. Les dialogues et la narration se présentent d’emblée comme une critique implicite du pouvoir en place. Andrzej, l’homme mûr, propriétaire de la voiture et du yacht, représente cette « bourgeoisie rouge » arrogante et ancrée dans ses privilèges, à l’instar des membres de la nomenklatura soviétique. Il n’est certes que journaliste sportif (du moins c’est ce qu’il affirme), mais ses signes extérieurs de richesse laissent penser qu’il a un statut plus important.
- Le couteau dans l’eau © 1962 Film Polski © 2021 Tigon Film Distributors / Impex-Films. Tous droits réservés.
Sa jeune épouse, dont on comprend qu’elle est issue d’un milieu plus populaire, montre une obéissance servile, bien que manifestant à plusieurs reprises des velléités d’indépendance, et éprouvant une sorte de bienveillance distante envers le jeune étudiant. Ce dernier, fauché mais exalté, incarne l’idéal d’une jeunesse fuyant l’hypocrisie du régime communiste, mais sceptique vis-à-vis des attributs de l’habitus bourgeois. La peinture de ces rapports de genre et de classe au sein d’une Pologne communiste était inacceptable pour le pouvoir, et l’on comprend aisément l’attitude du premier secrétaire du parti qui cassa un cendrier à l’issue d’une projection privée… De plus, Le couteau dans l’eau arborait les signes d’un certain cinéma occidental, avec nudité féminine explicite, partition musicale jazzy (signée Krzysztof Komeda, collaborateur de Polanski jusqu’à Rosemary’s Baby) et ton décalé inhérent à la Nouvelle Vague française (avec laquelle le réalisateur prend toutefois ses distances, attaché à un scénario charpenté et à une perfection technique). Ces aspects contribuèrent à rendre Polanski persona non grata en Pologne. On remarquera par ailleurs la virtuosité de certaines séquences, dont celles relatant la noyade, supposée ou réelle, de l’un des protagonistes. Il faut aussi souligner la performance des acteurs, surtout le comédien de théâtre Leon Niemczyk dans le rôle d’Andrzej. Si Jolanta Umecka qui joue l’épouse peut paraître limitée (sentiment que partageait le réalisateur), son inexpressivité convient à un personnage ambigu et qui n’est sûrement pas le plus naïf des trois. Quant au jeune et beau Zygmunt Malanowicz, tout juste sorti d’une école d’art dramatique, il dégage un magnétisme très Actors Studio, mais il faut préciser qu’il est vocalement doublé par Roman Polanski himself. Drame psychologique passionnant, Le couteau dans l’eau annonce d’autres réussites de Polanski. L’affrontement de classes qu’il suggère trouvera un écho avec Cul-de-sac, quand le sentiment de persécution (ici réelle plus qu’imaginaire) de l’étudiant anticipe les tourments du Locataire. L’œuvre obtint le prix FIPRESCI au Festival de Venise, ainsi qu’une nomination à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Elle devait constituer un passeport pour Polanski, qui tournera son second long métrage au Royaume-Uni.
Le test DVD :
- Le couteau dans l’eau © 1962 Film Polski © 2021 Tigon Film Distributors / Impex-Films. Tous droits réservés.
Carlotta Films édite le 5 mai 2021 le film dans une nouvelle version restaurée 4K, quatre ans après sa reprise en salles. Le chef-d’œuvre de Polanski est également disponible dans un format Blu-ray que nous n’avons pas testé. La sortie du DVD est simultanée à celle de deux autres longs métrages du réalisateur, à savoir Répulsion et Cul-de-sac.
L’image
La restauration visuelle est parfaite et valorise le travail du directeur de la photographie Jerzy Lipman. Le noir et blanc somptueux est l’une des qualités techniques et artistiques du long métrage, et contribue au pouvoir de fascination de l’œuvre.
Le son
La restauration sonore est de qualité. Ce qui est une bonne nouvelle, quand on sait que Polanski attache une importance primordiale aux bruits de fond, comme le sifflement des moustiques. Cela permet d’apprécier aussi la musique du compositeur Krzysztof Komeda, qui collaborera avec le cinéaste jusqu’à Rosemary’s Baby. Les DVD/Blu-ray ne comportent que la version originale avec sous-titres français. Mais qui voudrait visionner pareil film en VF ?
Les suppléments
- Le couteau dans l’eau © 1962 Film Polski © 2021 Tigon Film Distributors / Impex-Films. Tous droits réservés.
– Le documentaire Un ticket pour l’Ouest (31 mn)
Retour sur la brève carrière polonaise de Roman Polanski, de sa sortie de l’école de cinéma de Łódź au tournage de son premier long-métrage Le couteau dans l’eau. Rejeté dans son pays, ce film fut son sésame pour l’Occident.
Le documentaire présente le témoignage de Polanski, mais aussi d’Andrzej Wajda, et d’autres intervenants, dont les deux interprètes masculins du Couteau dans l’eau. Est évoquée l’école de cinéma de Łódź, dont sont sortis diplômés les plus grands réalisateurs polonais. Le contexte de la conception des courts métrages de Polanski est rapidement abordé, le documentaire préférant mettre l’accent sur la genèse, le tournage et la réception du Couteau dans l’eau. Il rappelle avec pertinence comment Polanski a cassé les codes du réalisme socialiste, mais on aurait apprécié un peu plus d’analyse filmique, le documentaire privilégiant les anecdotes, certes savoureuses. On y apprendra notamment comment l’équipe a réussi à rendre expressive l’actrice Jolanta Umecka, et de quelle manière a réagi le premier secrétaire du Parti communiste à la vision du long métrage.
– Trois courts-métrages réalisés par Roman Polanski
Rire de de toutes ses dents (Uśmiech Zębiczny – 1957 – N&B – 2 mn – Muet)
En descendant un escalier, un homme aperçoit par une fenêtre une demoiselle à sa toilette…
Un très bref court métrage qui contient déjà l’atmosphère étrange et décalée du cinéma de Polanski, avec une chute très drôle. Un film annonciateur du Locataire.
Cassons le bal (Rozbijemy Zabawę… – 1957 – N&B – 8 mn)
Un bal costumé a lieu à l’école de cinéma. Un groupe de voyous, refoulé à l’entrée, sème la pagaille...
Le court métrage débute comme un semi-documentaire sur les préparatifs d’une fête. L’ambiance légère, voire romantique, contraste avec la violence de la dernière partie, stupéfiante pour l’époque, et qui fait rétrospectivement froid dans le dos quand on se souvient de la bande de Charles Manson...
Deux hommes et une armoire (Dwaj Ludzie z Szafą – 1958 – N&B – 15 mn)
Deux hommes transportant une armoire entreprennent un étrange périple...
Un petit bijou. Le court métrage (le premier tourné par Polanski) débute comme un hommage au cinéma muet burlesque, mettant en scène deux personnages, procédé qui sera repris dans Le gros et le maigre (1961 – N&B – 15 mn) et Les mammifères (Ssaki – 1962 – N&B – 11 mn), en bonus des DVD/Blu-ray de Cul-de-sac. Le ton et les images ont une connotation à la fois comique et surréaliste, le spectateur ne comprenant pas ce que font ces deux hommes dans la mer avec une armoire, ou pourquoi ils s’obstinent à emprunter le tramway ou entrer dans un restaurant avec un pareil encombrant. Comme dans Cassons le bal, l’irruption de la violence crée une rupture de ton surprenante. Le court métrage fut récompensé au Festival de Bruxelles.
DVD 9 • NOUVEAU MASTER RESTAURÉ • PAL • ENCODAGE MPEG-2
Version originale Dolby Digital 5.1 & 1.0 • Sous-titres français
Format 1.33 respecté • 4/3 • Noir & blanc • Durée du Film : 92 mn
Galerie Photos
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