Sauve qui peut (la vie)
Le 10 juin 2003
La littérature et l’oubli. A partir d’un banal accident de la route, Pierre Péju entrecroise les histoires de trois solitudes et nous offre un roman déchirant et miraculeusement juste.
- Auteur : Pierre Péju
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française
Les lecteurs ont du talent. Grâce soit rendue à ceux qui, membres du jury du Livre Inter, ont fait émerger l’un des plus beaux textes de cette année littéraire. Celui de Pierre Péju, un écrivain rare dans tous les sens du terme. Il écrit peu. Il écrit comme personne. Résumer sa Petite chartreuse relève de la mission impossible, tant la simplification risque d’ôter toute sève à ce roman déchirant à force de tragique et de poésie.
La petite chartreuse débute comme une histoire de tous les jours qui pourrait arriver à n’importe qui. Une fillette sort de l’école, sa mère est en retard, il pleut. Elle rentre seule, se perd. Aveuglée par les larmes, elle traverse la chaussée glissante sans regarder. Le destin la met sous les roues de la camionnette du libraire Vollard.
A partir de ce fait presque divers, Péju tisse la vie de ses personnages. Tissu mité, plein de trous et de questionnements. Qui est Vollard, le libraire, parangon de laideur encombré d’un corps éléphantesque ? D’où lui vient cette mémoire indestructible qui embarrasse son cerveau jour et nuit ? Pourquoi, depuis sa prime jeunesse, fuyant les rapports humains, ne s’adonne-t-il qu’à la lecture ? Et Thérèse, la mère de la petite Éva, qui est-elle et quelle est la blessure non refermée qui la fait partir et repartir sans cesse ? Se sauver pour se sauver, dans le double sens du verbe. Disparaître à la recherche d’un salut qui se dérobe sans cesse. L’un en lisant, l’autre en voyageant sans but. Au chevet d’Éva disloquée et dans le coma, sa mère à nouveau prend la tangente alors que Vollard tente de ramener la fillette à la vie en lui disant les textes des grands écrivains qu’il connaît par cœur.
Mais où donc Péju, miraculeux de justesse, trouve-t-il les mots pour dire ces solitudes sans fond, plombées par la géographie d’une ville encastrée dans ses montagnes ? Par quel secrète empathie sait-il aussi bien décrire la fragilité de l’enfance, la difficulté des rapports humains, le drame de l’exclusion, le temps qui passe et qui jamais n’arrange les choses ? Et provoquer, avec une histoire aussi insoutenable, nos larmes de bonheur et d’émerveillement ? Corroborant sa thèse sous-jacente - la littérature jamais ne guérira les maux ni ne les rendra supportables ; l’oubli n’est qu’une mystification, seule la mort est définitive -, La petite chartreuse est de ces livres qui remplissent totalement leur mission. Véritable enchantement dans la douleur, ce roman exceptionnel donne au lecteur l’impression d’être le dépositaire d’un objet unique qui, une fois ses pages refermées, longtemps l’accompagnera et l’aidera à mieux se comprendre et mieux comprendre les autres. Et n’ayons pas peur des mots, ce texte brûlant met Pierre Péju sur un plan d’égalité avec les écrivains du panthéon du libraire Vollard, Nabokov, Sarraute, Borges, Pessoa ou Beckett...
Pierre Péju, La petite chartreuse, Gallimard, 2002, 178 pages, 15 €
– Regards croisés : La petite chartreuse, le film de Jean-Pierre Denis
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inconnu 28 mars 2005
La petite chartreuse - Pierre Péju - critique livre
nous sommes deux jeunes filles qui avons beaucoup appréciée le livre mais nous ne trouvons aucun renseignement sur l’auteur.pouvez vous nous aider ???
Marianne Spozio 28 mars 2005
Pierre Péju est né à Lyon en 46 dans une famille de libraires (d’où certainement le métier de Vollard...). Il est aujourd’hui professeur de philosophie au lycée international Stendhal, à Grenoble, et directeur de programme au Collège international de philosophie. Avant "La petite chartreuse", il a peu publié en fiction. Mais le peu n’est pas ennemi du (très) bien. "Naissances" (disponible en Folio) est un extraordinaire petit ouvrage que je vous recommande chaleureusement
Burlington 4 mars 2006
La petite chartreuse - Pierre Péju - critique livre
Ca parle des livres, de la montagne, de la solitude, de l’enfance, du remords, de l’amour...
C’est un petit objet avec plein de choses quand on regarde dedans, et quand on arrête de le regarder on l’a encore devant les yeux, ça peut même rendre le monde plus joli.
Tout ça, ça s’appelle un bijou, ou mieux, un roman, un beau roman et ils sont rares, donc precieux comme des bijoux.