Le 25 mars 2004
Décuplée par l’enfermement, une escalade vertigineuse dans la haine et la soif de vengeance.
Dans sa cellule, un détenu recrée son histoire à sa manière, et laisse exploser dans ses fantasmes la violence qu’il ne peut retourner que contre lui-même. Une escalade vertigineuse dans la haine et la soif de vengeance, schizophrénie auto-destructrice décuplée par l’enfermement.
Un homme, dans une cellule. Entre quatre murs, dans une lumière permanente. Rien pour mesurer le temps qui passe durant ces journées interminables, uniquement ponctuées par les repas et le bruit de la porte qui s’ouvre, puis se referme. On ne sait pas qui il est, ni ce qui l’a amené ici. On ne partage avec lui que ce temps de la captivité, rythmé par des rituels dérisoires : l’observation de la croissance d’un bouton, des fissures des murs, de ce gris uniforme qui l’entoure. Et, surtout, on suit ses fantasmes et les scénarios qu’il se construit et qui se superposent peu à peu à son quotidien. Ces visions et ces rêves gangrènent le réel et finissent par s’imposer comme la seule chose vivante qui reste au prisonnier.
Captif, réduit à néant, il se rêve tout-puissant et construit son procès imaginaire, puis celui des policiers qui l’auraient arrêté à tort. Il se voit sauveur, combattant contre les abus d’autorité, admiré, ne perdant jamais son impeccable sang-froid. Puis, l’envers de la médaille transparaît derrière ces fantasmes de justice rétablie. Dans un dialogue schizophrène avec lui-même, l’homme prisonnier de sa geôle imagine, dans des pages d’une violence et d’un sadisme rares, ce qu’il voudrait faire subir à ceux qui ont causé sa captivité : tortures, sévices sexuels, humiliations de toutes sortes. Allongé sur son lit, il ne trouve plus de jouissance que dans ces visions morbides et ultraviolentes qui lui procurent une euphorie et un bien-être immense.
Tour à tour tortionnaire, détenu lambda, gosse perdu qui se laisse aller à quelques larmes au creux de son oreiller, l’homme est vu tel qu’il se rêve, tel qu’il est, et la confusion des deux révèle un inconscient approché de manière particulièrement précise et évocatrice. L’écriture d’Hubert Selby Jr fouille, dissèque chaque mouvement, chaque douleur, dans les moindres détails et l’on ressent dans notre propre chair cet état nauséeux, ces tortures physiques et morales, cette violence haineuse et omniprésente.
La geôle n’est pas un réquisitoire contre le monde carcéral. Ni une analyse psychologique des mécanismes du crime ou des conséquences de la captivité. C’est l’élaboration d’un monde intérieur où la noirceur règne, au fil de ces pensées décousues qui envahissent l’esprit lors d’une longue attente, comme dans ces moments brumeux qui précèdent le sommeil. C’est la vision brute et sans espoir de toutes les violences gratuites, et de leurs conséquences en chaîne. L’exploration de l’inavouable, des pulsions sadiques des bourreaux comme des victimes.
Hubert Selby Jr, La geôle (The room, traduit de l’américain par J. Lanture), 10/18, coll. "Domaine étranger", 2004, 303 pages, 6,90 €
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