Passé décomposé
Le 1er octobre 2003
Manfred a tout d’un bon vieillard que l’on aide à traverser. Mais il a aussi tout du monstre. Plongée dans les rouages complexes d’un personnage, décortiqués par un McLiam Wilson en grande forme.
- Auteur : Robert McLiam Wilson
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Que ceux qui attendent l’auteur d’Eureka street et de Rippley Boogie au tournant ne soient pas supris. Ouvrage de transition rédigé entre les deux romans ayant œuvré pour la célébrité de Robert McLiam Wilson, La douleur de Manfred en étonnera plus d’un. "La douleur" ? "Les douleurs" seraient plus justes.
Car Manfred souffre et veut mourir. De toute façon, à son âge, l’essentiel est derrière. Alors, il laisse la maladie le dévorer et s’en accommode. Une manière extrême de purger ses péchés passés. Une souffrance qu’il est parvenu à apprivoiser et qui appartient à son quotidien. Douleur physique mais aussi et surtout douleur d’amour. Car Manfred est toujours épris d’Emma, son unique femme, une ancienne rescapée des camps nazis. Chose étrange, ils continuent de se voir régulièrement depuis des années, après s’être donné un premier rendez-vous sur un banc public. Et curieusement, Manfred ne la regarde pas. Jamais.
Les pistes s’ouvrent progressivement. McLiam Wilson a construit un roman qui alterne retours en arrière et temps présent. C’est en découvrant l’existence passée de Manfred que tout, petit à petit, prend forme. Et finalement, la compassion pour ce vieillard malade se transforme en de curieuses et paradoxales impressions. Car Manfred est un homme qui a souffert et qui a aussi fait souffrir. Pourquoi cette étrange relation avec son ex-femme ? Pourquoi n’a-t-il conservé d’elle qu’une photo de jeunesse ? Pourquoi cette haine pour Martin, son fils ? Pourquoi le silence d’Emma sur les camps de concentration ?
Distillant très intelligemment tous les éléments du puzzle, McLiam Wilson noue bon nombre de fils avant de livrer la clé permettant de pénétrer le secret de son personnage. D’une plume aiguisée, brute, touchante, il met à nu les souffrances d’un vieillard. Réflexion sur le passé, la culpabilité et les remords, ce roman porte en lui quelque chose de gênant. Comme si on lisait une histoire qu’il faut taire et qu’il est indécent de divulguer. Comme si l’on collait l’oreille sur un mur mitoyen pour entendre ce qui se passe chez le voisin. Comme si l’on épiait d’autres vies au travers d’une lucarne. Fatalement, cette découverte d’une intimité cachée a le goût exquis de l’interdit. On s’y complaît, on s’y attache, on veut savoir... Jusqu’au vertige, jusqu’à la nausée. Et c’est justement par sa brutalité que ce roman est brillant. Très brillant.
Robert McLiam Wilson, La douleur de Manfred, (Manfred’s pain, traduit de l’anglais par Brice Matthieussent), Ed. Christian Bourgois, 2003, 262 pages, 19 €
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