Gabin en héros de Zola pour Renoir
Le 4 juillet 2022
Le classique de Jean Renoir, qui prend ses distances avec le roman de Zola, donne au long métrage une tonalité de film noir et à son héros une dimension dostoïevskienne.
- Réalisateur : Jean Renoir
- Acteurs : Simone Simon, Julien Carette, Fernand Ledoux, Jean Gabin, Jenny Hélia , Léon Larive, Blanchette Brunoy, Gérard Landry, Colette Régis, Claire Gérard, Jacques Berlioz
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Acacias, Lux Compagnie Cinématographique de France
- Editeur vidéo : Studiocanal
- Durée : 1h41mn
- Date télé : 8 juillet 2024 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Date de sortie : 23 décembre 1938
Résumé : Jacques Lantier est victime de pulsions meurtrières. Il ne se trouve bien qu’en compagnie de son chauffeur Pecqueux sur {La Lison}, la locomotive à vapeur avec lesquels il fait la ligne Paris-Le Havre. Pour son malheur, il rencontre Séverine dont le mari Roubaud, sous-chef de gare du Havre, vient d’assassiner Grandmorin, le parrain de la jeune femme à qui elle avait cédé.
Critique : Après Nana (1926, avec Catherine Hessling), La bête humaine est la seconde adaptation de Zola par Jean Renoir. On a dit que le cinéaste appréciait modérément le roman de celui qui avait été l’ami de son père. Même s’il rend explicitement hommage à l’auteur de la saga des Rougon-Macquart dès la fin du générique (photo et citation à l’appui), Renoir prend d’emblée ses distances avec l’œuvre initiale. C’est ainsi que l’époque a été modifiée, le Second Empire de 1890 et la deuxième révolution industrielle étant ici remplacés par le Front populaire et l’esprit des années d’avant-guerre. Sorti quelques mois après La Marseillaise, film de propagande mineur dans sa carrière et même, osons l’écrire, franchement mauvais, La bête humaine est bercé par un certain idéal. Le travail y apparaît salvateur, un travail mené collectivement, l’esprit de camaraderie se prolongeant dans le quotidien. Le mécanicien Pecqueux (prodigieux Carette) est plus qu’un pote et un confident pour Lantier (Gabin). C’est le régulateur de ses émotions et le symbole de la fraternité ouvrière, semblable à celle qui soudait Charles Vanel et (encore) Jean Gabin dans La belle équipe (J. Duvivier, 1936). À la coopérative ouvrière succède ici la vénérable Société nationale des chemins de fer français, symbole de progrès et d’unité (en tout cas à l’époque...). Il ne faudrait pourtant pas réduire La bête humaine à un film ouvertement politique. Aucun militantisme chez Lantier et ses pairs, et l’on ne décèlera des rapports de classe qu’au détour de certains dialogues.
C’est ainsi que l’assistant chef de gare (Fernand Ledoux) remettra à sa place un attaché ministériel, refusant le passe-droit et appliquant le règlement afin de protéger une femme du peuple (Claire Gérard). Rappel de la norme égalitaire plus qu’incitation à la révolution prolétarienne. Renoir est dans ce film intéressé par les groupes plus que les classes, et il n’exclut pas de dépeindre des individualités au sein de ce microscome : « Il a dû bien souffrir pour en arriver là », constate Pecqueux au dénouement, tandis que les travailleurs retournent à leur tâche après le drame déroulé sous leurs yeux... Renoir donne ici une tournure dostoïevskienne au personnage de Lantier, à qui Jean Gabin apporte une surprenante modernité de jeu. La séquence dans laquelle il tente d’étrangler la pure et belle Flore (Blanchette Brunoy) est à cet égard saisissante, et contraste avec le caractère rassurant des décors naturels. C’est qu’au niveau esthétique, on se doute que Renoir est plus proche de l’impressionnisme d’Auguste que du naturalisme de Zola. Même la suie sur les visages de Gabin et Carette semble irréelle. N’hésitant pas à mélanger les genres, le réalisateur donne aussi au récit une tonalité de film noir, nuancée par la belle photo de Curt Courant et le rôle de femme fatale incarnée par la délicate Simone Simon. Son visage de chaton et sa grâce qui cache des intentions pernicieuses anticipe le personnage de La Féline, qu’elle tournera à Hollywood quatre ans plus tard. Il faut enfin souligner la virtuosité technique du film qui donne à apprécier des prises de vue inédites d’une locomotive en marche.
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Claude Rieffel 17 août 2013
La bête humaine - Jean Renoir - critique
En s’engageant sur les rails du réalisme poétique Renoir joue le jeu avec brio et son film surclasse sans peine les chefs d’oeuvres consacrés du genre dont, à la différence d’un Carné pieusement (et talentueusement) illustratif, il met plus d’une fois à mal les pesantes conventions en obtenant de ses acteurs une justesse irréductible aux règles établies du « métier ».
On peut néanmoins préférer, dans l’oeuvre du cinéaste, des films moins aboutis et « confortables » comme cette passionnante « Marseillaise » si controversée (bon signe !) et assurément inégale avec ses contradictions, ses retorses naïvetés, ses incohérences, mais pleine de moments de grâce et où le programme idéologique, en étant ouvertement affiché, s’avère finalement moins contraignant que la lourde « poésie » du fatalisme social et laisse davantage le champ libre au souffle de la vie.
Frydman Charles 1er avril 2015
La bête humaine - Jean Renoir - critique
C’était l’époque des locomotives à vapeur, lorsque les locomotives semblaient respirer . La Lison que Jacques et Pecqueux "nourrissent" de charbon est humanisée , et la bête humaine c’est Jacques avec ses pulsions, mais un peu également la Lison que Jacques considère presque comme sa femme...Aujourd’hui les locomotives sont électriques , mais je me souviens de l’époque des wagons lits et du wagon restaurant, un gril et son four qui pouvait faire penser à la lison , et à Noël 1973 , un train qui allait de Nice à Amsterdam en s’arrêtant gare de Lyon , puis après avoir emprunté la petite ceinture , gare du nord . Un détour pour de mystérieuses raisons par la gare de l’est et la gare de Nogent le-Perreux...me faisait penser à Pecqueux.