Le 2 septembre 2023
L’époque n’est plus des chefs-d’œuvre incontestables, mais ce Carrosse conserve une énergie et une verve qu’Anna Magnani sublime.
- Réalisateur : Jean Renoir
- Acteurs : Anna Magnani, Jean Debucourt, Odoardo Spadaro, Nada Fiorelli, Dante, Duncan Lamont
- Genre : Comédie dramatique, Historique, Romance
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Les Acacias, Les Films Corona
- Editeur vidéo : TF1 Vidéo
- Durée : 1h40mn
- Reprise: 31 octobre 2012
- Date de sortie : 27 février 1953
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Résumé : Au XVIIIe siècle, une troupe de la commedia dell’arte donne des représentations dans une colonie espagnole d’Amérique du Sud. C’est une communauté joyeuse et bruyante, animée par une maîtresse femme, Camilla, qui joue le personnage de Colombine à la scène. Camilla est une force de la nature et un tempérament généreux. Elle a un soupirant, Felipe, son compagnon de voyage, mais ne tarde pas à conquérir les cœurs du toréador local, Ramon, et du vice-roi lui même, Ferdinand. Ce succès dérange l’ordre social et agace la cour qui essaie de discréditer l’intruse et sa troupe de théâtreux. Le vice-roi, monarque frivole, aimable et fastueux, fait don à Camilla du superbe carrosse d’or qu’il a acheté en Europe et qui fait l’orgueil de la cour. Scandale. Pour sortir d’une situation embarrassante et dans l’incapacité de choisir entre ses trois galants, Camilla les renvoie dos à dos, et offre son beau carrosse à l’Église. Il servira désormais à porter le saint sacrement aux malades. Ayant résolu ces problèmes, Camilla se consacre totalement à son art : le théâtre.
Critique : Tourné après Le Fleuve, c’est à dire à notre sens le dernier chef-d’œuvre de Renoir, ce film sur le théâtre, plutôt bien reçu à son époque même si déjà on regrettait la splendeur d’avant-guerre, est à l’origine du mythe du « vieux sage », ou plus fréquemment, du « patron ». Le cinéaste vieillissant, souhaitant ne pas se répéter, aurait gagné en philosophie et livrerait des leçons de vie. À revoir aujourd’hui Le carrosse d’or, on serait bien en peine de dégager une quelconque idée originale, et ceux qui pensaient trouver la morale d’un génie créatif en seront pour leurs frais. Qu’on juge sur pièce : une troupe de théâtre de la commedia dell’arte vient jouer au Mexique ; le vice-roi et un toréador se disputent les faveurs de Colombine / Camilla, qui finit par renoncer au mirage de l’or et préférer le public. Quant aux dialogues, leur profondeur n’excède pas des banalités du genre : « Où finit le théâtre ? Où commence la vie ? » ; soit, en moins bien écrit, ce que quelques siècles plus tôt, un certain Shakespeare énonçait brillamment. Quant à la peinture des ridicules de la cour, là encore, rien de bien neuf. Non, décidément, ce n’est pas par son scénario que ce Carrosse brille. Non plus que par des dialogues qui, certes, font preuve d’une certaine verve, mais n’évitent ni la redondance ni la lourdeur. On n’appréciera pas davantage la majorité des acteurs, palots et sans charisme.
- © 1952 Delphinus / TF1 droits audiovisuels. Tous droits réservés.
Heureusement, le film vaut par l’extraordinaire sens du cinéma de Renoir ; à chaque plan son génie fourmillant trouve des idées de mise en scène qui hissent l’œuvre au rang de la modernité expérimentale, mais une modernité cachée, secrète, et puissamment jouissive. En privilégiant le décor, les toiles peintes, le cinéaste recrée un monde à sa mesure, un entrelacs de lignes qui non seulement nie un réalisme fade, mais organise un ensemble quasiment abstrait dans lequel les pantins (on songe au rideau et aux marionnettes de La chienne) s’agitent vainement. Au fond, ce qui fascine dans le film, c’est cet incessant mouvement, ce foisonnement sans rien de réel, qui n’est que le reflet d’une vie proliférante et superficielle. Si Renoir multiplie les sur-cadres (combien de portes et de fenêtres !), c’est qu’il met en scène des êtres humains atrophiés, minés par de petites rivalités et prisonniers de leurs désirs. À cet égard, il est normal que ces silhouettes futiles soient enfermées dans les décors et qu’elles apparaissent et jouent comme des caricatures : voir par exemple le toréador, forcément machiste et fier, l’aubergiste roublard ou le vieux noble vicieux. Et si le vice-roi est d’emblée présenté comme ridicule dans une scène de bain de pieds très drôle, le récit l’humanise peu à peu au contact de Camilla pour le faire accéder au rang de personnage, c’est à dire d’être doté de sentiments. Indifférent au début, il découvre la jalousie en même temps que la force de résister à sa cour malveillante. Peut-être y a-t-il là une vraie leçon cachée : Renoir s’adresserait à nous, et d’abord aux spectateurs de son temps, pour leur reprocher une déshumanisation que seul l’art peut battre en brèche.<
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Les parti pris esthétiques (le décor réduit à des lignes, le tournage en studio visible) trouvent leur cohérence dans un filmage essentiellement frontal, à la Méliès si l’on veut, qui réduit gros plans et champs-contrechamp à la portion congrue. Ainsi de la dispute conjugale, organisée comme une scène de théâtre dont une partie reste cachée. Mais c’est la plupart des séquences qu’il faudrait citer, tant Renoir reste fidèle à ses principes initiaux. Quand il y déroge, c’est pour offrir un écrin à sa diva, comme quand, au lieu de filmer la corrida, il cadre le visage de Magnani pour, en un beau travelling, ouvrir le champ aux spectateurs, puis enfin au toréador. Ces moments-là, purs moments de cinéma, témoignent de l’inventivité juvénile d’un vieux cinéaste (Renoir a presque soixante ans quand sort Le Carrosse d’or). Mais s’il peut exercer son art, c’est aussi qu’il est comme fasciné par sa comédienne, dont l’abattage et le cabotinage contrôlé sont une leçon de jeu. « La » Magnani, qu’on a connu plus outrancière, est fabuleuse, qu’elle joue tout en nuances ou comme la caricature d’une Italienne capricieuse ; l’étendue de ses possibilités fait oublier qu’elle n’a ni l’âge ni la beauté du rôle.
Loin du naufrage de sa toute fin de carrière, Renoir conserve ici le plaisir de filmer : c’est un festival de couleurs chatoyantes, de cadrages maîtrisés, un ballet cocasse plein de santé qui, outre le fait qu’il est par instants très amusant, semble guidé par le principe de plaisir, du plaisir immédiat et généreux ; c’est peu dire qu’on ne s’y ennuie pas : on savoure.
Les suppléments :
Le premier module (35 minutes) donne la parole à deux spécialistes (Olivier Curchod et Pascal Mérigeau) pour une relation circonstanciée du tournage et des multiples problèmes rencontrés. C’est passionnant, mais, à tout prendre, on aurait aimé connaître leur vision du film. Le second revient sur la restauration en une explication à la fois très technique et très pédagogique (10 minutes).
L’image :
Oubliées les pâleurs des versions longtemps projetées : les couleurs sont opulentes, les images sans scories, le velouté de la peau retrouvé.
Le son :
Dès les premières mesures de Vivaldi, on sait que le miracle a eu lieu : les dialogues ont retrouvé leur fraîcheur et tout parasite est exclu. De fait, la restauration soignée et respectueuse (voir le supplément qui la détaille) est une merveille.
– Sortie Blu-ray : le 2 décembre 2015
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