Contre le cinéma
Le 17 octobre 2024
Chantal Akerman revient aux thèmes qui ont fait son cinéma le plus personnel et le plus radical. Un art exigeant et d’une rare pertinence.
- Réalisateur : Chantal Akerman
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Shellac, Capricci Films
- Durée : 1h18mn
- Reprise: 23 octobre 2024
- Date de sortie : 25 octobre 2006
- Festival : Festival de Berlin 2006
L'a vu
Veut le voir
– Reprise en version restaurée : 23 octobre 2024
Résumé : Entrecoupé de coups de fils à ses proches et des questions confiées à son journal intime - sur le suicide en particulier - l’exil d’une femme à Tel Aviv, cloîtrée derrière les stores vénitiens de sa fenêtre, et qui observe ses voisins.
Critique : En 1975, Chantal Akerman faisait avec Jeanne Dielman une œuvre de fiction stupéfiante. Elle tentait de faire sentir le temps hautement palpable de la répétition et du quotidien. En 3h30 et beaucoup de plans fixes, une mère de famille exilée dans sa solitude cachait son aliénation intime dans une dévotion silencieuse et roborative à son fils : autant dire un film éprouvant pour son spectateur. Il s’agissait déjà, pour Akerman, de raconter la prison interne dans laquelle s’enfermait Delphine Seyrig. Prison calme comme l’eau qui dort mais qui recélait un secret violent. Dans Là-bas, la prison s’est-elle déplacée - et la violence avec elle ? Enfermée dans son appartement de Tel Aviv, d’où elle scrute (non sans humour) les gestes quotidiens et répétitifs de ses voisins (la cigarette du matin sur le balcon, les discussions muettes sur le toit-terrasse...), la "captive" [1] d’aujourd’hui ne montre pas son visage, mais à l’inverse de Jeanne Dielman elle parle - peu, mais un peu quand même. Et elle raconte son enfermement, dans sa propre et banale aliénation de pauvre femme hypocondriaque, exilée volontaire dans un pays où il ne faut pas sortir parce que l’attentat guette au coin de la rue.
- © 2024 Capricci
Doit-on voir dans ce film de Chantal Akerman une nouvelle variation sur le thème de l’enfermement (Jeanne Dielman, Lettres de New York, La captive) ? Ou bien s’agit-il d’un film plus politique, qui s’attacherait à raconter une forme d’exil des individus - les habitants de Tel Aviv - condamnés à vivre dans leur "intérieur" domestique (pourtant les plages et la mer sont là, parfois, comme de brèves et immobiles incises dans un film faussement contemplatif...) ? La réponse est sans doute dans la forme très personnelle qu’explore Chantal Akerman dans ces films austères et parfois difficiles : à tellement opposer le "dedans" au "dehors" ("prisons externes et internes", nous précise la narratrice de Là-bas), à montrer des terrasses et des façades tout en racontant son désarroi intime là où Jeanne Dielman ne se racontait qu’en ses gestes et son silence têtu, Chantal Akerman refuse un certain compromis du cinéma avec le réel. Une nécessité pour ainsi dire : faire tenir le temps "réel", celui de notre quotidien, dans les limites d’une durée moyenne et habituelle - les deux heures qui doivent raconter une histoire, et pourquoi pas un destin.
- © 2024 Capricci
Or, Akerman vient nous rappeler combien ce compromis et cette nécessité, sur lesquels s’est édifié le cinéma, sont aussi un mensonge. Un mensonge qui consiste à nous tromper sur le drame intérieur d’un être emprisonné dans un temps immobile, comme sur celui d’un peuple enfermé dans une violence imprévisible et tellement quotidienne. Le silence et l’enfermement, de Jeanne Dielman à Là-bas, racontent mieux la violence - celle d’une vie, celle d’un peuple. Là-bas est un film qui, loin de faire le choix gratuit d’une forme de radicalité, refuse en pleine conscience le spectaculaire et l’explication : car l’un et l’autre ne parviennent jamais, quoiqu’en dise les films, tous les films, à expliquer, précisément, le drame d’un être ou celui d’un peuple.
Alors : Là-bas, un film contre le cinéma ?
- © 2024 Capricci
[1] La captive, film de Chantal Akerman à partir de La prisonnière de Marcel Proust), 2000
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.