Le 18 avril 2023
Cette œuvre radicale sur le quotidien aliénant d’une femme est un jalon dans le cinéma expérimental post-Nouvelle Vague et pourra encore fasciner certains.
- Réalisateur : Chantal Akerman
- Acteurs : Delphine Seyrig, Jacques Doniol-Valcroze, Jan Decorte, Henri Storck, Yves Bical
- Genre : Drame, Expérimental
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Capricci Films , Olympic Distribution
- Durée : 3h20mn
- Reprise: 19 avril 2023
- Date de sortie : 21 janvier 1976
- Festival : Festival de Cannes 1975
Résumé : Trois jours de la vie d’une femme, Jeanne Dielman, une mère veuve qui se prostitue pour joindre les deux bouts. Son quotidien monotone est rythmé par les tâches domestiques et les hommes qui défilent chez elle, jusqu’au moment où le désordre s’installe…
Critique : Après avoir abandonné des études de cinéma, Chantal Akerman (1950-2015) s’était lancée dans des projets expérimentaux, en Europe et à New York. Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles est son second long métrage, après Je, tu, il, elle, présenté à la Mostra de Venise en 1975. Le scénario est certes nourri de souvenirs autobiographiques, la réalisatrice ayant passé son enfance dans une famille où les femmes (sa mère, ses tantes) étaient très présentes et ont mené le même quotidien que sa protagoniste (à l’exception de la prostitution) : tâches domestiques, vie sociale limitée, précarité financière… Cette volonté de mettre en avant une ménagère ayant une existence (presque) banale et frustrante s’inscrit aussi dans une démarche féministe, Akerman s’étant par ailleurs entourée d’une équipe artistique et technique composée majoritairement de femmes. Mais l’essentiel n’est pas là, et le métrage aurait pu sombrer dans le militantisme didactique ou le misérabilisme, ce qui est loin d’être le cas. C’est bien la mise en scène épurée et radicale qui fait la force d’un film extrêmement novateur à l’époque, bien qu’il soit nourri de références cinématographiques (la réalisatrice cite Godard, mais l’influence d’Antonioni, Ozu ou Straub est manifeste).
- © 2023 Capricci. Tous droits réservés.
L’action narrative est presque inexistante, et ce pendant plus de trois heures, même si le récit reste structuré et linéaire (trois jours de la vie de Jeanne), comparativement aux œuvres underground antérieures de la cinéaste. Certains spectateurs devront s’accrocher ou être patients face à cette mère de famille filmée en longs plans fixes et que l’on voit éplucher les pommes de terre, préparer un plat à base de viande hachée, nettoyer ses chaussures, ou récurer sa baignoire. Jeanne est également la mère d’un fils adolescent qu’elle ne voit que le soir, garde un bébé pendant un bref temps de l’après-midi, reçoit la visite de messieurs élégants à qui elle vend ses charmes, effectue ses courses à la supérette, et s’offre une pause-café à la brasserie du quartier. Les trois journées se déroulent à l’identique malgré quelques variantes (notamment dans les dialogues avec le fils) et suggèrent le sentiment de solitude et de malaise que ressent intérieurement Jeanne. Dans le dossier de presse d’origine, Akerman précise ainsi, à propos de son dispositif, qu’elle a souhaité « l’acharnement minutieux à cerner chacun des gestes pour, comme dans la peinture hyper réaliste, donner une valeur exemplaire à ce qui est montré, pour dépasser l’anecdote, le sujet, et en découvrir la vérité profonde ».
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Le résultat est réellement étonnant, et l’on est frappé par la capacité de la réalisatrice à composer des cadrages singuliers sur des pièces d’appartements, des embrasures de portes, ou des couloirs. L’œuvre doit aussi beaucoup à Delphine Seyrig, a priori à contre-emploi, mais dont la grâce irradie le film. Diversement accueilli à sa sortie, Jeanne Dielman a vite gagné le statut d’étalon d’un certain cinéma radical. Et il constitue une référence de choix pour plusieurs cinéastes dont Gus Van Sant, Tsai Ming-liang ou Kelly Reichardt. Par la suite, Chantal Akerman poursuivra dans cette voie, sans toutefois retrouver un tel niveau d’inspiration, ni élargir son public. En 2022, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles a été élu meilleur film de tous les temps dans le classement décennal de la revue britannique Sight and Sound. Bien que le long métrage soit réellement important, cette distinction nous semble un brin excessive, eu égard aux chefs-d’œuvre réalisés par des dizaines de cinéastes, dont Lang, Welles, Hitchcock, Kubrick ou Scorsese.
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Norman06 13 avril 2010
Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles - Chantal Akerman - critique
Une étape indéniable dans l’histoire du cinéma expérimental et un trip fascinant pour tout spectateur disponible. Reste que contempler la divine Delphine Seyrig éplucher les patates et assurer d’autres tâches domestiques en temps réel et plans séquences, et ce pendant 3 heures, afin de saisir son trouble existentiel, pourra sembler naïf et fastidieux. Et si novateur que fut le projet à l’époque, il pourra paraître un brin daté.