Des femmes infanticides, suicidaires ou simplement en déshérence... Régis Jauffret nous avait jusqu’à présent emportés avec chacun de ses livres dans un univers noir où l’imaginaire de ses personnages les faisait glisser d’une identité à une autre sans pour autant leur faire espérer un semblant de bonheur. Autant dire que son dernier roman, L’enfance est un rêve d’enfant, nous a surpris par sa facétie et son goût de bonbon acidulé que l’on croque bien vite après s’être promis pourtant qu’on le sucerait jusqu’à sa plus simple expression.

Corentin, Gabriel et Régis le narrateur sont trois petits Marseillais qui regardent plus souvent le ciel et les fusées qui commencent tout juste à s’y propulser, que leurs cahiers d’exercices. Et comme tous les enfants de leur âge, ils devisent sur le monde des grands et ses figures et font suffisamment preuve d’imagination pour en deviner les rouages les plus secrets. Or, nous sommes au beau milieu des sixties, des tables en formica, d’un aéroport flambant neuf et des vacances de Monsieur Hulot, mais le superhéros à cette époque-là est sans conteste le Général de Gaulle dont les presque deux mètres de haut ont de quoi impressionner les garçonnets qui très vite découvrent l’incroyable secret : le Général a des rapports privilégiés avec Dieu en personne avec qui il s’entretient plus ou moins régulièrement de la marche du monde.

Dès lors, tout est possible et un léger saut suffit aux enfants pour prendre de la hauteur et partir à Paris rencontrer le Président après avoir survolé les belles campagnes de France qui font corps avec de Gaulle, "ce cerveau greffé à l’histoire qu’il illuminait depuis l’ère glaciaire", car les trois compères ont aussi découvert l’infinité d’identités qu’a pu recouvrir le Général pour accompagner l’histoire de son cher pays et guider ses compatriotes vers les chemins de la gloire.

Seuls des enfants peuvent a priori imaginer cette folle virée de même qu’eux seuls peuvent lire sur les trottoirs les signes kabbalistiques des taches blanches entre lesquelles ils se feront un point d’honneur de zigzaguer. Mais parfois, certains grandissent sans pour autant perdre en cours de route leur regard d’extralucides. Ceux-là sont des écrivains comme Régis Jauffret qui nous rappellent le moment venu que "l’enfance est un lieu, ce n’est pas une époque" que seule la créativité littéraire peut investir avec succès.