Gigot de sept heures
Le 24 septembre 2003
Quand les rêvasseries d’une femme devant son gigot inspirent mille et un romans rassemblés en six cents pages. L’imaginaire de Jauffret reste toujours aussi sombre et prolixe quitte à provoquer l’indigestion.
- Auteur : Régis Jauffret
- Editeur : Verticales
- Genre : Roman & fiction
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Les amateurs de cuisine fine connaissent cette surprenante façon d’accommoder le gigot d’agneau durant pas moins de sept heures de cuisson. Il en ressort à la sortie du four, une confiture de viande que l’on déguste à la cuiller. Le procédé et la saveur qui en résultent sont aussi subtils que déconcertants. Pourtant, les ingrédients de base sont identiques à ceux d’un traditionnel gigot, à commencer par la viande, le vin et le bouquet garni... Il en est un peu de même avec Univers, Univers, le dernier ouvrage de Régis Jauffret. Les ingrédients habituels d’un roman ont été servis, à savoir un personnage principal, une histoire et des mots. Mais le procédé narratif déployé sur plus de six cents pages a de quoi éberluer plus d’un lecteur.
Un soir, dans une cuisine. Une femme surveille la cuisson de son gigot en attendant ses invités. Alors qu’on imagine la chair de l’agneau crépiter, l’héroïne rêvasse au conditionnel et s’imagine d’autres vies. Elle s’invente des noms, une famille, des métiers, quelques joies et beaucoup de drames car Univers, univers ne fait pas exception à l’imaginaire de Jauffret où viols, tortures, infanticides et autres meurtres sont choses habituelles.
Les hypothèses se bousculent ainsi devant le hublot du four et c’est une incroyable collection de figures qui défile selon une valse incessante d’identités. Raconté en quelques lignes, chaque personnage disparaît ainsi aussi vite qu’il est apparu pour laisser place au portrait de ses colistiers dans une course narrative aussi frénétique que fatigante. "L’univers clignote dans le néant. Comme une guimbarde dans le brouillard", quelques embardées stylistiques ponctuent le texte et réveillent l’attention du lecteur épuisé par cette folle sarabande narrative.
L’ambition d’un tel livre est manifeste. Le lecteur a dans les mains non pas une simple mise en abîme d’un roman dans le roman mais quelques centaines d’ébauches romanesques rassemblées par la magie d’un intelligent schéma narratif. Vous y ajoutez un auteur qui s’installe dans ce jeu romanesque pour interpeller le lecteur et la saveur en est d’autant plus troublante : "A présent, vous êtes allé trop loin, vous êtes un lecteur captif ; vous faites partie du livre tout autant que cette femme en arrêt devant son four. Comme elle, vous êtes dans l’expectative alors que de toute évidence il ne se passera rien de notable. La voilà la littérature, elle ne raconte rien, elle traîne en longueur le langage, elle lui permet enfin de s’exprimer, au lieu de toujours servir à dire quelque chose d’autre que lui."
On soupçonne Jauffret de s’être beaucoup amusé à mitonner une petite révolution du récit et perturber ainsi ses lecteurs. Mais les procédés originaux en littérature comme en cuisine ne sont pas forcément appréciés à leur juste valeur s’ils sont servis avec trop de largesse. L’épaisseur de cette ébauche d’un roman absolu risque ainsi de provoquer bien des indigestions.
Régis Jauffret, Univers, univers, Verticales, 2003, 609 pages, 20 €
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