Ping-pong
Le 21 février 2024
Entre Ophüls et Hitchcock, le troisième film de Jacques Becker, situé dans le milieu de la haute couture, est une tragédie étourdissante de légèreté virevoltante.
- Réalisateur : Jacques Becker
- Acteurs : Micheline Presle, Gabrielle Dorziat, Raymond Rouleau, Jean Chevrier, Jeanne Fusier-Gir, Jane Marken, Françoise Lugagne, Paul Barge, Marguerite de Morlaye, Marcelle Hainia, Hélène Duc
- Genre : Comédie dramatique, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Acacias, Védis
- Durée : 1h51mn
- Date télé : 5 juillet 2024 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 27 octobre 2021
- Box-office : 2 108 663 entrées France
- Date de sortie : 20 juin 1945
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Résumé : Un couturier séduit par jeu et cynisme la fiancée de son ami. Mais tel est pris qui croyait prendre.
Critique : Une suite de plans extrêmement courts, comme attrapés au vol, nous donne un aperçu des activités multiples d’une grande maison de couture : dès le générique de Falbalas, le troisième film de Jacques Becker, le spectateur est entraîné dans une espèce de tourbillon nerveux qui ne connaîtra guère de répit au cours des 110 minutes de projection.
Les dialogues (écrits par Maurice Aubergé) sont d’une intelligence et d’une vivacité exceptionnelle sans céder aux facilités de la réplique définitive qui empoisonnent tant de films de l’époque ; la mise en scène enchaîne les morceaux de bravoure, s’ingéniant à multiplier les obstacles pour entraver le bon déroulement d’une scène et ainsi en démultiplier l’effet : une conversation pendant que la caméra filme en plongée la cage d’ascenseur, une autre dans l’espace étroit d’une cabine téléphonique (Sortons d’ici) ; la séquence d’anthologie du ping-pong, véritable scène de torture pendant laquelle l’héroïne est soumise à un interrogatoire d’autant plus insidieux que l’attention semble se concentrer sur la partie.
Les gros plans des employées qui penchent la tête vers la caméra et commentent à voix basse, comme étouffée, le suicide du héros dans la scène extraordinaire qui, après le générique déjà évoqué, ouvre le film et reviendra le clore, jette un voile de tragédie sur une action en flash-back qui se maintient pourtant presque en permanence dans un registre de légèreté bondissante et presque frénétique.
Le choix de Raymond Rouleau pour interpréter le rôle du couturier entraîné dans sa spirale fétichiste s’avère judicieux. Si ailleurs son énergie un rien factice et le second degré appuyé de son jeu peuvent agacer (même dans le très plaisant Dernier atout, le premier film de Becker, 1942) elle permettent ici d’instiller dès le départ un doute sous la façade sympathique de ce personnage hyperactif maniant brillamment l’auto-ironie et de préparer le terrain pour la révélation progressive de sa folie monomaniaque et destructrice.
Mais c’est surtout Micheline Presle qui émerveille. Son personnage est magnifique : jeune fille de bonne famille certes, mais d’une étonnante maturité intellectuelle et sentimentale. Et la caméra de Becker saisit amoureusement le moindre frémissement du visage de l’actrice qui trouve sans doute ici le le plus beau rôle de toute sa carrière (avec celui du médecin dans L’amour d’une femme de Grémillon).
Loin de se concentrer uniquement sur les deux protagonistes, Becker accorde son attention à tous les personnages. L’arpète envoyée chercher le patron en retard (Une arpète ça ne risque rien) n’est pas une simple figurante : elle existe pleinement à l’écran et ne nous émeut pas moins que la malheureuse Anne-Marie (Françoise Lugagne), l’énergique Solange (Gabrielle Dorziat) où l’inénarrable Paulette (Jeanne-Fusier Gir).
La description extrêmement précise de l’univers de la mode témoigne de l’acuité documentaire du regard du cinéaste qui livre aussi un étonnant témoignage du Paris des années de l’Occupation. Tourné au printemps de 1944 et comportant de nombreuses prises en extérieur dans les rues du 16e arrondissement, le film ne montre évidemment pas un seul soldat allemand mais regorge de détails révélateurs, à commencer par l’importance des déplacements en vélo.
Le souci de légèreté et le fini artisanal des films de Jacques Becker risquent de masquer leur réelle profondeur. La vision éblouie de Falbalas, une de ses réussites majeures, située quelque part entre Hitchcock, Ophüls et Renoir, nous invite à reconsidérer l’œuvre de ce cinéaste connu mais pas toujours reconnu à sa juste valeur.
– Tournage du 1er mars au 30 juin 1944, dans les studios Pathé-Cinéma et pour les extérieurs dans le 16e arrondissement de Paris.
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