Le 23 janvier 2006
Rencontre avec le romancier britannique James Flint à l’occasion de la parution de son roman Electrons libres.
Rencontre avec le romancier britannique James Flint à l’occasion de la parution de son roman Electrons libres.
Après Habitus, dont l’architecture était très complexe, pourquoi avoir choisi une intrigue plus linéaire, centrée sur un personnage ?
Je voulais raconter une histoire plus simple, plus traditionnelle. Habitus était peut-être trop vaste... Je pense que c’était un anti-roman, je voulais écrire un roman ! Je voulais essayer de me concentrer sur une relation particulière entre un père et un fils. Mais j’ai eu beaucoup de problèmes en écrivant Electrons libres parce que l’histoire était fondée sur une histoire vraie. J’ai passé trois ans à faire des recherches, à écrire, à interviewer le scultpeur James L. Acord, qui a inspiré le livre. Quand j’en suis venu à écrire, j’avais trop d’informations, j’avais tant de matériau que je ne pouvais pas écrire, ça ne marchait pas... C’était tout simplement trop vrai, trop réel. Donc j’avais besoin de simplifier, et j’ai alors inventé ce personnage, Cooper. Je me suis concentré sur lui parce que, de cette façon, je pouvais laisser de côté une partie de ma documentation .
Comment avez-vous travaillé avec James L. Acord ?
Je pouvais écrire tout ce que je voulais à condition qu’il ne lise pas. Pour ce qui est de la relation père-fils, je lui ai dit que j’avais inventé un personnage du nom de Cooper James, et c’est devenu un sujet de plaisanterie entre nous. Mais chaque fois que je l’ai vu, si j’essayais d’évoquer le livre, il changeait de sujet... Donc je ne lui en ai jamais vraiment parlé. Je ne sais pas ce qu’il en pense. C’est très difficile avec James parce que beaucoup de gens essaient d’écrire sur sa vie ou de faire des documentaires sur lui. Le contrat avec moi était qu’il me laissait faire parce que j’étais un artiste, pas un journaliste. Il avait lu Habitus, et l’avait vraiment aimé... Il voulais donc bien me parler, parce que je n’utiliserais pas ce matériau directement, mais que je le transformerais en art...
Pourquoi avoir inclus des photographies ?
Je les ai prises initialement comme un carnet de bord, au moment où je me documentais. Quand j’ai écrit le livre, je les ai utilisées parce que l’histoire paraissait tellement incroyable que je voulais montrer qu’elle n’était pas inventée. Pour montrer qu’il s’agissait de réalisme ! Bien sûr, aujourd’hui, les images sont tellement manipulées qu’elles ne sont plus forcément synonymes de vérité, mais c’est ce que je voulais dans le livre.
Quelle est aujourd’hui votre position sur la question nucléaire ?
Plus j’apprenais, moins je savais. Quand j’ai commencé, j’étais anti-nucléaire. J’ai ensuite traversé une phase ou j’étais plutôt pro, puis violemment contre. Maintenant, je suis entre les deux, je pense que c’était inévitable. La position du livre sur le nucléaire est celle-ci : nous avons inventé cette technologie, l’industrie qui va avec, et nous ne pouvons plus revenir en arrière. Même si nous arrêtions d’utiliser le nucléaire, les déchets seraient toujours là. D’une certaine façon, c’est la fin du rêve romantique selon lequel la révolution indutrielle pourrait être effacée pour retourner vivre à la campagne, élever des moutons... Cette technologie est une sorte de pont que nous construisons et brûlons derrière nous. Je pense qu’il n’est déjà plus possible d’imaginer le monde sans l’industrie nucléaire. Aujourd’hui, je ne pense pas que nous devrions développer le nucléaire, comme c’est le projet au Royaume-Uni. Ceci dit, je ne pense pas non plus qu’on devrait se débarrasser de la puissance nucléaire. Mais nous avons besoin de gens capables de comprendre comme cela fonctionne. Je ne suis plus un utopiste sur la question, je suis devenu pragmatique.
La science et la technologie sont pour vous des sources d’inspiration récurrentes, depuis Habitus...
Ça a été un accident. Je ne suis pas un scientifique, mais j’ai pris, un peu par hasard, des cours liés aux sciences à l’université. Quand j’ai commencé à écrire, en tant que journaliste, il est devenu évident que ce que j’avais appris était de plus en plus utile car notre société devenait de plus en plus technologique. C’est devenu manifeste dans les années 90, avec l’explosion des nouvelles technologies. J’ai fini par écrire Habitus. Cela me paraît décrire la réalité de notre existence davantage que des fictions romantiques. Je suis très intéressé par la façon dont la technologie affecte la manière dont nous vivons et ce qu’être humain veut dire. La possibilité de cloner une personne soulève d’intéressantes questions sur ce qu’est une personne, la possibilité de pouvoir communiquer immédiatement avec quelqu’un n’importe où dans le monde modifie la façon dont nous pensons le temps ou l’espace. D’une certaine façon, la technologie nous rend libres, mais elle nous rend aussi beaucoup plus dépendants.
Au début d’Electrons libres, Lizz donne à Cooper le livre de Thomas Browne, écrit en 1658, et évoque le temps où il était possible à un individu de maîtriser la globalité du savoir humain. Est-ce quelque chose dont vous vous sentez nostalgique ?
Oui, je pense. Il y a quelque chose de si rassurant dans l’idée qu’on puisse tout comprendre ! Aujourd’hui, on ne le peut pas, et on ne peut même pas imaginer comment cela serait. Ce qui veut dire que nous devons tous nous spécialiser avant de savoir quels choix nous pourrions avoir. C’est effrayant, parce que cela veut dire que même avec une bonne éducation, il n’y aucun moment dans une vie où vous pouvez revenir en arrière et choisir. Le monde est trop vaste et bouge trop vite... Vous êtes tout de suite rattrapé par un destin avant d’avoir une chance de choisir.
Travaillez-vous actuellement à un nouveau roman ?
Non, pas pour l’instant. Quand j’ai fini Electrons libres, j’ai décidé que je voulais rester un moment sans écrire de fiction. Mes trois romans forment à mes yeux un ensemble, où j’ai écrit sur deux sujets : la relation entre la magie et la technologie, et la relation entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Cela m’a pris dix ans. J’ai ressenti le besoin de faire une pause pour réfléchir à ce sur quoi j’avais envie d’écrire.
Propos recueillis à Paris le 7 décembre 2005
Photo©David Thomson
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