Le 20 avril 2020
Parcours atypique d’un fou de cinéma, qui a développé sa passion de la France jusqu’en Amérique du Sud, en passant par la Tchéquie.
Entretien : David Duponchel est le directeur artistique du festival de cinéma "A l’Est" qui s’est déroulé à Rouen du 3 au 8 mars dernier, pour sa 15ème édition.
L’interview a été réalisée début avril.
aVoir-aLire : Pouvez-vous nous éclairer sur votre parcours de cinéma atypique, qui part de France pour passer par la Tchéquie et le Pérou ?
David Duponchel : Oui, après des études à la Sorbonne de Paris 1, je suis parti pour la FAMU (Académie du film de Prague), en République tchèque, l’une des meilleures écoles de cinéma au monde. Y ont étudié, entre autres, Miloš Forman, Emir Kusturica ou encore Agniezska Holland. Ce fut certainement une époque cruciale de ma vie : je vivais, nous vivions tout simplement pour et par le cinéma. Ma professeure était Vera Chytilova (*), une sommité de la Nouvelle Vague Tchèque : elle a tourné Les petites marguerites, film emblématique de ce nouveau mouvement. J’ai aussi découvert au cinéma le Ponrepo, la Cinémathèque de Prague, les films importants du cinéma d’Europe centrale et orientale. Comme toutes les histoires ont une fin, il m’a fallu partir un jour, et mon point de chute fut l’Amérique latine, et particulièrement le Pérou, où j’ai pu créer un festival des films d’Europe centrale et orientale, tout en y intégrant des films sud-américains. Mon idée était de bâtir un pont entre ces deux univers cinématographiques qui, jusque-là, avaient eu peu de relations, si l’on excepte celles développées à Cuba et au Chili pendant la guerre froide. Je n’étais pas parti au Pérou pour y rester, mais le temps passe vite, et après vingt ans, je me suis senti adopté. J’ai pu aussi créer d’autres festivals, en Argentine, en Colombie, et plus récemment en Uruguay.
* Vera Chytilova, cinéaste tchèque (1929-2014), importante représentante de la Nouvelle Vague tchèque, faisait partie de l’aile la plus expérimentale du mouvement.
aVoir-aLire : Comment est venue l’idée de ce festival "A l’est du nouveau" rebaptisé désormais "A l’est" ?
David Duponchel : Lors de mes études, j’ai découvert ce cinéma d’Europe centrale et orientale, tout un autre monde qui proposait, à cette époque, un discours beaucoup plus novateur que celui de la "vieille" Europe. C’est aussi pour ça que j’avais quitté la Sorbonne, qui avait bien du mal à tourner la page de la Nouvelle Vague et son culte des dialogues truffés de bons mots. Pour moi, le cinéma est d’abord un travail sur l’image qui doit absolument s’éloigner du théâtre, un peu comme a pu l’inventer le cinéaste russe Dziga Vertov (*) : le ciné-langage. Il y avait là-bas, à cette époque, beaucoup de choses à dire, l’envie et la nécessité de bâtir une nouvelle société, de faire un hiatus entre les générations et l’objectif d’entrer dans l’Union européenne.
Créer ce festival, même depuis le Pérou, était pour moi une évidence, et j’ai bien eu raison, car si à cette époque, en 2002, peu de films de l’Est étaient distribués, c’est maintenant la norme : il y a eu la Nouvelle Vague roumaine, le développement du cinéma polonais, le nouveau cinéma hongrois... Le festival propose désormais aussi des films de pays en marge de l’Union européenne : Serbie, Géorgie, Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Kosovo... autant de pays et de discours cinématographiques forts, ancrés dans l’Histoire avec un grand H : l’envie pour ces cinéastes de construire un autre miroir, montrant une certaine réalité de leurs sociétés qui se transforment.
* Dziga Vertov (1896-1954) est un cinéaste et théoricien russe (soviétique), qui a eu la volonté dès les années 1920, d’affranchir le cinéma de la littérature et du théâtre. Il a notamment créé le "ciné-œil" et "la théorie des intervalles".
aVoir-aLire : Pourquoi particulièrement Rouen pour ce festival ?
David Duponchel : Je suis né à Rouen, et c’est tout naturellement que j’ai souhaité faire partager cette passion pour le cinéma de l’Est avec mes compatriotes. Il s’est trouvé qu’à ce moment, disparaissait le festival rouennais "Regards sur le cinéma du Monde" (*). Le festival "A l’est" est vite devenu une référence, car ce fut le premier en France, et même en Europe, à programmer des films issus de l’Europe centrale et orientale. Depuis, d’autres ont été créés, à l’instar du "Go East" organisé au Luxembourg. J’espère que ce festival pourra se développer avec le soutien des responsables politiques, quand ceux-ci comprendront tout l’intérêt de l’ouverture vers le cinéma de ces pays, qui participe aussi à la construction de la vision humaniste européenne. Mais restons humbles : en cette période de confinement, on ne sait pas encore comment, demain, on va pouvoir organiser des festivals internationaux de cinéma.
* La dernière édition du festival "Regard sur le cinéma du Monde" a eu lieu en 2010.
aVoir-aLire : Qui travaille avec vous sur ce festival ? Des professionnels ? Une ou des associations ?
David Duponchel : A Rouen, l’organisation repose uniquement sur des bénévoles, sans qui aujourd’hui le festival ne pourrait pas avoir lieu. Le fait qu’il existe plusieurs festivals "A l’est" de par le monde, apporte une forme de mutualisation de services qui permet d’obtenir une qualité professionnelle. Il est certain que le concours de professionnels renforcerait cette qualité, mais son budget ne le permet pas. C’est donc tous les ans, pour ces bénévoles, un défi à relever, notamment en raison d’une collaboration faite à 10.000 kilomètres de distance, sans compter la barrière de la langue. Malgré cela, l’organisation progresse d’année en année.
aVoir-aLire : Comment sont choisis les films, les sections parallèles ?
David Duponchel : C’est la mutualisation des différents festivals "A l’est" qui permet de présenter cette programmation de qualité, toujours en recherche de nouveautés, au niveau des thèmes, du langage cinématographique, sans parler de l’approche politique. Depuis la création, le festival juxtapose des films de cinéastes inconnus, présentant leur premier film et des cinéastes confirmés, ce qui permet d’étoffer la réflexion.
L’essentiel de la programmation se fait à Lima, lieu du plus important des festivals "A l’est", où là des collaborateurs sont rémunérés. Toutefois, la programmation reste différente d’un pays à l’autre, pour tenir compte des spécificités nationales.
A Rouen, nous travaillons beaucoup avec les distributeurs français, avec la projection de films en avant-première, qu’ils accompagnent ensuite sur tout le territoire. En Amérique du Sud, la situation est tout à fait différente, car peu de films sont distribués : les festivals présentent donc des inédits, ce qui là-bas peut parfois représenter un certain exotisme ! Nous travaillons aussi avec d’autres associations, notamment le collectif "Jeune cinéma", pour proposer des sections parallèles et expérimentales, avec une programmation très pointue. Au festival de Rouen, cette année, c’était le cinéma punk.
aVoir-aLire : Est-ce la première année que vous proposez des programmations "hors les murs" ?
David Duponchel : Non, ce n’est pas la première fois. L’idée de ces programmations "hors les murs" est d’offrir des films à un public éloigné des grands centres urbains, qui, pour autant, n’en a pas moins la même curiosité. C’est tout de même à nous de faire l’effort d’aller à la rencontre du public, tout à fait dans l’esprit du festival qui cherche aussi à sortir des sentiers battus.
Cela donne lieu pour nous à un travail avec des associations, qui défendent le cinéma en milieu rural et se démènent pour relayer nos choix de films, auprès de leur public. Ce sont toujours de très chouettes collaborations, faites de rencontres étonnantes et enrichissantes.
aVoir-aLire : Quel est votre bilan de cette édition 2020 ?
David Duponchel : Cette édition a été très bonne au niveau de la fréquentation. Ce qui n’était pas évident, car nous avons dû partager la sélection, habituellement programmée au cinéma art et essai l’Omnia, avec le Kinepolis, multi-salles de Saint-Sever, plus habitués à des films grand public. Mais fort heureusement, le public a répondu. Les sections parallèles ont été développées. Le bémol a été les annulations de venues de certains invités, en raison des premiers effets de la pandémie en Europe (* le festival s’est déroulé du 3 au 8 mars). Quelque part, nous avons de la chance, car quelques jours plus tard, tous les cinémas étaient fermés, et bien entendu les festivals annulés. Cette fermeture n’est vraiment pas une bonne nouvelle pour le cinéma indépendant.
aVoir-aLire : Pouvez-vous déjà nous donner quelques informations sur la 16ème édition ?
David Duponchel : Dès lors que nous avons développé l’idée d’un festival indépendant, une multitude d’autres festivals s’est créée. C’était une très bonne chose pour des pays ordinairement tournés vers le cinéma nord-américain. Ces festivals ont permis aussi de susciter de nouvelles vocations de cinéma. Cela a aussi aidé certains à sortir de la vision unique que la télévision impose.
Des sujets, rarement ou jamais traités, surtout avec un regard critique, ont traversé les festivals : le droit à l’avortement, la religion, l’environnement... Le spectateur péruvien apprend avec ces films à connaître l’autre, à comparer, aussi bien travers les similitudes qu’à travers les particularismes.
Même si, au départ, ce n’était pas gagné, ces festivals ont permis de tisser d’excellentes relations avec les pays d’Europe centrale et orientale : ils sont aujourd’hui ravis de la diffusion de leurs films en Amérique du Sud.
L’un de mes objectifs est de développer le cinéma jeune public, pour que les enfants puissent avoir accès à une autre poésie que celle imposée par Disney, leur ouvrir les yeux plus largement sur le cinéma, car ce sont eux le public de demain.
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