Le 9 juillet 2003
La résistible ascension d’un gnome revanchard dans une Espagne post-franquiste en pleine mutation. Baroque, sale et méchant.
La résistible ascension d’un gnome revanchard dans une Espagne post-franquiste en pleine mutation. Baroque, sale et méchant.
Gregorio, alias Goyo ou Quart de portion, n’a pas été gâté par la providence, cette implacable chienne qui planifie les méandres de nos vies et détermine, ne l’oublie jamais, frère mortel, l’instant précis de notre fin. Il est né nain, cagneux, brachycéphale, fruit de l’étreinte furtive et rémunérée de sa serveuse de mère et d’un camionneur en transit. Conspué, humilié, battu, rejeté par la quasi totalité des habitants de son petit village de la Manche, il est vendu dès la puberté à un cirque de passage qui l’emploie comme racleur de merde léonine puis, notable promotion, comme phénoménal gobeur d’œufs.
A en croire Gregorio, qui ne connaît que faim et haines, le monde, en particulier l’Espagne - terre ignare et dévote momifiée par des décennies de franquisme - est presque exclusivement composé de "fils de pute". Alcooliques déliquescents, maquereaux à la petite semaine, mendiants retors, flicards vicieux... forment les cohortes pathétiques du monstrueux freak show qu’est la société ibérique.
"Le cirque est la vie et la vie est un cirque", proclame l’avorton assoiffé de vengeance et d’ascension sociale, remarquable fils de pute lui-même, malgré ses penchants pour la poésie lyrique et ses rêves mort-nés d’amour fou.
Fresque baroque et acerbe de cinquante ans d’Espagne, centrée sur la période charnière de la mort du Caudillo et de la transition "démocratique" vers le marché tout-puissant, La Malemort (pour reprendre le titre original du roman) s’inscrit dans une certaine tradition latine du grotesque, de l’hénaurme, de "l’affreux, sale et méchant". Des images fortes, donc, et des couleurs stridentes, lorgnant vers Bacon et Jérôme Bosch en références avouées, mais aussi beaucoup de (mauvaises) odeurs, tendance scato bien avarié. Certes, le style flamboyant de l’auteur, qui manie en orfèvre le précieux ("mucilagineux", "vertex", "aménorrhée"...) et le rude ("cette femme avait un gros cul de mule, mais sans mouches et sans queue") fait passer bien des tonitruances. Reste que pets, vomi, caca, hémorroïdes et fange... gagneraient parfois à être plus subtilement dosés.
Fernando Royuela, Histoire de Don Gregorio, nain d’Espagne, (La Mala Muerte, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu), Seuil, 2003, 367 pages, 21 €
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.