Le 26 août 2020
Fresque sociale et féminine saisissante, Glory emporte le lecteur dans le Texas rétrograde et conservateur des années 1970.
- Auteur : Elizabeth Wetmore
- Editeur : Les Escales
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Emmanuelle Aronson
- Titre original : Glory
- Date de sortie : 27 août 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : La nuit du 14 février 1976, le quotidien des femmes d’Odessa, Texas est bouleversé à jamais. Gloria est violée, et les autres soupçonnent que sa peau café au lait n’est pas sans rapport avec cet acte. Dans ce Sud américain aux mœurs conservatrices, la justice est rendue avant même que le juge joue du maillet dans la salle d’audience. Entre les adolescentes désœuvrées, cloîtrées à cause des rumeurs, la mère de famille menacée et les autres âmes en peine qui préfèrent faire comme si, Elizabeth Wetmore s’attache à dresser une fresque sociale et féminine saisissante.
Critique : Elizabeth Wetmore entraîne ses lecteurs dans le Texas aride et inhospitalier des années 1970, Odessa étant alors baignée de la lumière lugubre des torchères – le pétrole et les débuts des ravages de l’or noir. Gloria ne sera plus jamais la même après le viol qu’elle subit la nuit d’un 14 février passée en ville. D’ailleurs, elle changera dès lors de prénom, l’amputant de sa dernière lettre, le mutilant à l’image de celle qu’elle fut. L’auteure, après le récit du réveil de l’adolescente, traumatisée et en sang, s’appliquera à alterner les focalisations, n’achevant son premier cycle qu’après les soixante-dix premières pages. Sans respecter d’ordre précis, de règles contraignantes, elle s’attache à exposer les pensées de plusieurs femmes – filles-mères grandies trop vite, gamines désœuvrées, veuve alcoolique déprimée, adolescentes choquées. Chacune est liée de près ou de loin aux violences subies par Gloria, chacune y croit plus ou moins, le racisme ayant une place prégnante en ce fin fond des États-Unis. L’espagnol, la « Mexicaine » ne le parle pas, le comprend tout juste, mais le porte dans ses veines et sur son visage. Et ça, les gens du coin ne le supportent pas. La mentalité et l’étroitesse d’esprit des Texans n’est malheureusement pas sans rappeler une réalité tristement actuelle, celle du mur de Trump et de ce refus de la différence, encore plus marqué dans les lieux ruraux et pauvres.
Le style est efficace et visuel, la construction, si elle rend le récit complexe de prime abord, lui confère toute sa force. En dépeignant ce paysage social de manière si frappante, Elizabeth Wetmore signe un roman extrêmement puissant. La misère et la poussière collent à la peau de toutes les femmes qu’elle décrit, les hommes n’étant que des ombres plus souvent dangereuses que bienveillantes ou protectrices, ombres engluées dans le pétrole qu’elles manipulent et l’argent qu’elles convoitent. L’auteure parvient à se glisser dans la peau de chacune de ses héroïnes, les rend humaines et leur offre un passé et un avenir qui viennent parfois perturber la narration au présent.
Aucune n’est vraiment attachante, mais cela n’en rend pas Glory moins intense.
Elizabeth Wetmore - Glory
Les Escales
320 pages - 21,90 €
140 x 225 mm
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L’atelier de Litote 31 août 2020
Glory - Elizabeth Wetmore - critique du livre
Un premier roman prometteur c’est un coup de cœur, qui a pour cadre le Texas sous un soleil de plomb et des odeurs de pétrole. Odessa est une ville pétrolière en plein boum en 1976. Les hommes blancs y travaillent durement, la place des femmes reste accessoire. Un roman choral où chaque chapitre porte le prénom d’une de ces femmes. Nous allons découvrir vision de la société américaine de l’époque à travers les vies de toutes ces femmes. On parcourt tous les âges avec les personnages. La plus âgée est Corinne Shepard, veuve, grincheuse et un brin alcoolique ; Mary Rose Whitehead marié et mère à nouveau enceinte ; Ginny qui abandonne sa fille Debra Ann, 10 ans ; Karla Sibley jeune serveuse de 17 ans. Le roman débute avec Gloria, petite mexicaine de 14 ans, battue et violée. Mary Rose va s’investir pour qu’on rende justice à Gloria. Suivre la solidarité de ses femmes, leur façon de se soutenir était quelque chose de beau et de profond. Qui a-t-il de pire que l’injustice ? Parallèlement à cela l’histoire d’amitié entre Debra Ann et l’ancien soldat Jesse Belden qui vit dans un tuyau d’évacuation est juste émouvante et belle. Les personnages ont tous leur forces, certains sont sombres et d’autres lumineux. Il y a de la profondeur en chacun d’entre eux, cela donne tout son intérêt au récit, toute sa densité. Si justice n’est pas rendue alors des sentiments viennent bouillonner dans les cœurs. La colère, la rage, le désir de vengeance peuvent venir perturber la petite communauté. La vie de la maternité telle que décrite par l’auteure est bouleversante, on ressent très fort les carcans sociaux et les pensées non politiquement correctes. J’ai été sous apnée dès le début de ma lecture et je suis passée par tout un tas d’émotions grâce au talent de l’auteur à nous faire vivre un récit passionnant. Je vais suivre son parcourt avec attention.
http://latelierdelitote.canalblog.com/archives/2020/08/31/38507391.html
Kirzy 13 février 2021
Glory - Elizabeth Wetmore - critique du livre
1976, ville d’Odessa dans l’Ouest du Texas. le roman s’ouvre sur un chapitre terrible, celui du viol de Gloria, jeune fille de 14 ans, durant toute une nuit, dans un champ pétrolifère, avant qu’elle ne trouve la force de s’enfuir lorsque son bourreau ivre s’endort, jusqu’à frapper à la porte de la ferme de Mary-Rose.
Elizabeth Wetmore, dont c’est le premier roman, surprend. Plutôt que rester focaliser sur Gloria, elle fait le choix de dévisser complètement pour déplacer le regard de la victime vers un choeur d’autres femmes de la communauté d’Odessa. Chaque chapitre est centré sur l’une d’elle, en alternance, autant d’histoires courtes à part entière à l’intensité croissante. Mais jamais on ne peut oublier l’ouverture traumatisante de ce roman, jamais la terreur de Gloria qui fuit ensanglantée son violeur ne nous quitte. La construction est ainsi très habile car toujours on est dans l’attente que Mary-Rose, le jeune mère de famille, Corrine la veuve qui ne craint plus rien ni personne, ou Debra Ann la très jeune fille à l’acuité déjà aiguisé, parlent de Gloria et de ce qu’il lui est arrivé. La tension monte très progressivement jusqu’à exploser dans les cinquante remarquables dernières pages.
Ce qui est très fort dans ce roman, c’est la façon dont l’auteur questionne toute une communauté dans sa réaction face à un crime révélant un racisme scandaleusement inapproprié et levant le voile sur une condition féminine faite de soumission dans cet état sudiste : racisme et sexisme sont les mêmes faces d’une réalité bien laide. Et elle dénonce avec beaucoup de subtilité pour rendre compte de toute la complexité de la situation, sans rien perdre de férocité lorsqu’il le faut, mettant à nu avec une clarté ironique les moeurs et l’ambiance dans cet Amérique profonde des années 1970 ... dont on sent qu’ils est encore très proche de ceux d’aujourd’hui.
Mais ce que je retiens de ce roman très fort émotionnellement, c’est le beau personnage de Mary-Rose. C’est elle qui recueille Gloria et appelle les secours. Elle qui, dans son compassion instinctive, s’apprête à témoigner contre le violeur, et se retrouve mise au ban de la communauté. Car elle est blanche, car le violeur est un jeune homme blanc bien intégré, car Gloria est d’origine mexicaine et que c’est sa faute puisqu’elle est montée volontairement dans le pick-up, car les Latinas seraient précoces sexuellement et naturellement ardentes. Plus que l’histoire de Gloria, c’est celle de Mary-Rose, la mère au foyer soumise à son mari, au bord du burn-out avec ces deux enfants en bas-âge qui l’épuise. Mary-Rose dont on assiste à l’éveil puis la métamorphose sous l’effet de sa prise de conscience féministe et humaniste, choquée de voir qu’on banalise le viol d’une jeune fille, au point de quasi basculer dans une forme de folie.