Au sud des rails
Le 28 avril 2012
Se mettant lui-même en scène dans la peau d’un pauvre éclopé du Caire, Youssef Chahine signe un classique - si moderne ! - sur le thème du désir et du regard. A voir absolument.
- Réalisateur : Youssef Chahine
- Acteurs : Youssef Chahine, Farid Chawki, Hind Rostom
- Genre : Drame
- Nationalité : Égyptien
- Editeur vidéo : Pyramide Video
- Durée : 1h14mn
- Titre original : Bab el-hadidi
- Date de sortie : 13 mars 1974
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– Année de production : 1958
Se mettant lui-même en scène dans la peau d’un pauvre éclopé du Caire, Youssef Chahine signe un classique - si moderne ! - sur le thème du désir et du regard. A voir absolument.
L’argument : Kenaoui, boiteux et simple d’esprit, est vendeur de journaux à la gare du Caire. Il tombe amoureux de la belle et provocante Hanouma, une vendeuse de boissons à la sauvette. Mais celle-ci repousse ses avances et n’a d’yeux que pour le porteur de bagages, Abou Sérib, qu’elle doit épouser. Frustré, fou de rage et d’humiliation, Kenaoui ne voit qu’une solution...
Notre avis : Le film commence comme un conte : un lieu coloré, plein de vie et de mystère (la gare du Caire), habité par un narrateur facétieux qui en dévoile l’une des histoires. Nous ne dévoilerons pas comment il s’achève ; en tout cas, le chemin parcouru de la première à la dernière image se révèle à la fois troublant, stimulant et inattendu. Il semble aujourd’hui presque invraisemblable que le film date des années 1950, tant il s’en dégage un parfum d’audace et de liberté. Film « sur » le désir, Gare centrale est habité et hanté par ce désir qui croise, à un moment ou à un autre, la trajectoire des personnages : il s’incarne dans la sublime et plantureuse Hind Rostom, qui fait irrésistiblement penser à la Gina Lollobrigida de Notre-Dame de Paris. Le film reprend d’ailleurs le dispositif, classique mais inépuisable, du roman de Hugo : un être difforme, souterrain, tombe amoureux d’un feu follet - la belle bohémienne qui symbolise à la fois l’amour passionnel et le coup du destin. Bien entendu, le désir ne se concrétise jamais - et à ce titre, Gare centrale est un grand film sur la frustration sexuelle - ; mais ce qui intéresse Youssef Chahine dans cette répression des pulsions, c’est le passage à l’acte qui est contenu dans le fait même de regarder. Gros plans d’yeux, personnages espions, scène de voyeurisme dans le vestiaire improvisé d’une roulotte : le film n’est pas sans évoquer au spectateur le film culte de Michael Powell, Le voyeur, dont on trouve ici comme une intuition préliminaire (le voyeurisme conduisant, inévitablement, au pire des actes...).
De manière singulière, Gare centrale marque aussi peut-être dans la carrière de Youssef Chahine l’affirmation de son style personnel : on y trouve (déjà) son attachement aux personnages et aux personnes « vraies » qu’elles incarnent, ainsi qu’au monde réel qui les entoure. Ajoutant son titre à la liste des films qui gravitent autour du train - genre cinématographique international et intemporel ! -, Gare centrale nous donne également l’impression d’une capture émouvante et aigre-douce d’une tranche de vie urbaine, qui n’a pu exister que dans ce moment. Les plans de la gare, des rails et des trains ne sont jamais « accessoires » ou purement fonctionnels, ils contribuent à une atmosphère particulière qui emporte d’emblée l’adhésion du spectateur. Même si le film n’assume jamais un parti documentaire, l’attention que Chahine porte aux détails secondaires qui, accumulés, forment le paysage si particulier de la gare, est révélatrice d’un souci de « vérité » et de vie. On retient finalement moins de Gare centrale la « morale » de la fable que le film propose, que des plans saisissants, qui aujourd’hui nous dépassent paradoxalement par leur prise de risques. Moralité ? Parfois, même en art, le moderne c’est « l’ancien »...
Ce film fait partie du coffret Youssef Chahine.
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